Crise du sacerdoce, y-a-t-il des solutions ?

«Une Eglise sans prêtres ? Les scénarios catastrophes sont en train de se réaliser dans des pays comme la France, l’Allemagne, le Benelux… Même de vieux pays catholiques comme l’Italie ou l’Espagne sont touchés. Sans doute les Eglises du tiers-monde sont-elles plus riches en vocations, mais aussi plus fragiles.»

C’est le constat d’Henri Tincq, qui suite à l’élection du pape Benoît XVI au conclave de 2005 avait établi une « liste d’objectifs » qui constitue en somme un résumé de ses conceptions, celle d’un certain catholicisme progressiste, généralement opposé aux mouvements intégristes auxquel il estime notamment que le pape Benoît XVI fait trop de concessions. Il a parfois regretté que le Souverain Pontife maintienne certaines des positions habituelles de l’Église en matière de morale. Pour ces raisons, il est peu apprécié des milieux catholiques les plus conservateurs.

Tous les efforts faits pour former des laïcs (non-prêtres) et leur confier des responsabilités dans l’Eglise butent sur cette réalité : des besoins spirituels et sacramentels ne peuvent plus être remplis. Les assemblées sans prêtres, les funérailles de laïcs s’étendent. L’appel à des prêtres africains ou polonais n’est qu’un palliatif.

Suite à ce constat, il faut trouver des solutions et ne pas faire le bon vieux coup du « C’est le manque de formation, C’est de la faute au monde sécularisé… » Toujours les mêmes excuses qui nous mènent droit vers le mur. Dans certains pays, les entorses au célibat sont si nombreuses qu’on ne peut plus ignorer le problème. En Asie, en Amérique du Sud et en Afrique, nouveaux berceaux du dynamisme catholique, la situation devient telle qu’un évêque camerounais aurait dit à ses prêtres : «Puis-je vous demander de n’avoir qu’une seule femme ?»

Partout, l’Eglise se trouve confrontée au problème, et la hiérarchie n’est pas en reste: en 1992, Mgr Casey, évêque de Galway (Irlande), donne sa démission et annonce sa paternité; en 1995, c’est le tour de Mgr Vogel, évêque de Bâle (Suisse); l’année suivante, Mgr Wright, évêque d’Oban (Ecosse), quitte son ministère en révélant qu’il est papa d’un adolescent de 15 ans. Plutôt favorables à l’assouplissement de la règle, les évêques océaniens, réunis en synode en 1998, ont réclamé à plusieurs reprises l’ouverture de débats sur l’ordination d’hommes mariés.

Dans sa biographie Le Pape aux deux visages, le jésuite et vaticaniste espagnol Pedro Miguel Lamet rapporte l’anecdote suivante : Karol Wojtyla, alors archevêque de Cracovie, aurait refusé à l’un de ses prêtres l’autorisation d’abandonner son ministère pour vivre avec sa compagne et leurs deux bébés, lui suggérant plutôt de quitter la femme et de confier les petits à une institution pour enfants abandonnés. Pas très évangélique cette décision.

«Le célibat des prêtres n’est pas un dogme mais une norme de discipline. L’Eglise peut réfléchir sur l’argument.» Ces propos furent tenus par le cardinal brésilien Claudio Hummes, archevêque de São Paulo, en 2006 dans le journal O Estado de São Paulo. Á la tête de la Congrégation pour le clergé de 2006 à 2010, le très stratégique ministère des prêtres dans le monde. Et le cardinal ne s’est pas limité à une réflexion théologique abstraite : «La crise des vocations est un défi auquel nous devons faire face. L’Eglise n’est pas une institution immobile, elle sait changer lorsque c’est nécessaire. Ce n’est pas une décision facile à prendre, mais l’Eglise doit en discuter.»

Il n’y a toutefois rien de révolutionnaire dans l’affirmation que le célibat des prêtres n’est pas un dogme. Certains apôtres étaient mariés et, pendant les premiers siècles du christianisme, la majorité des prêtres et évêques l’étaient. Le principe du célibat est affirmé pour la première fois en 306 après Jésus-Christ lors du concile local d’Elvire (en Espagne actuelle Ndlr). Mais, en 325, le concile de Nicée fait marche arrière en autorisant les prêtres mariés avant leur ordination à conserver leur épouse. Seule contrainte : éviter les rapports sexuels la veille d’une messe (1). Il faut attendre le concile du Latran (1123) pour que les prêtres cohabitant avec des femmes qui ne seraient ni leur sœur, ni leur mère, ni une servante «d’âge canonique» soient déchus de leur fonction sacerdotale.

Le célibat fut imposé au nom de la chasteté exaltée par les ordres monastiques. Aujourd’hui encore, seuls les membres de certaines congrégations – Franciscains, Jésuites, Dominicains, etc. – font vœu de chasteté. Alors que les prêtres du clergé ne sont contraints à l’abstinence que parce qu’ils ne sont pas mariés, au même titre que les célibataires, les divorcés ou les veufs. Mais en forçant les prêtres au célibat, l’Eglise avait également des préoccupations d’ordre social et économique. Rome voulait éviter que des évêques mariés ne servissent davantage les intérêts de leur descendance que ceux de l’Eglise.
La règle n’est pourtant pas intangible et, après le XIe siècle, le Vatican a émis de nombreuses dispenses. Ainsi, Pie VI accepta des prêtres qui s’étaient mariés durant la Révolution française. Plus récemment, Pie XII intégra des prêtres anglicans mariés qui s’étaient convertis au catholicisme.

Au cours des dernières décennies, l’Eglise semblait pourtant avoir durci sa position et aucun responsable n’évoquait plus le mariage des prêtres de peur d’être accusé de blasphème. Même tempérés par une mise au point selon laquelle «le célibat des prêtres n’est pas à l’ordre du jour». Dès 1971, un certain père Ratzinger écrivait bien : «Devant la pénurie de prêtres, on ne pourra pas éviter d’examiner avec sérénité la question de l’ordination d’hommes mariés.»

Pourtant les solutions à la crise du sacerdoce existent, on croule même sous les solutions. La fin de la règle du célibat serait une démarche audacieuse et réaliste. L’idée de l’ordination d’hommes mariés fait son chemin mais malheureusement, elle est freinée des quatre fers. Paul VI en avait dessaisi le Concile, estimant que l’affaire n’était pas mûre et redoutant que le seul fait d’ouvrir la discussion ne tarisse un peu plus les entrées au séminaire. Au synode des évêques de 1971, un texte avait même été voté, stipulant que « sauf le droit du souverain pontife, l’ordination sacerdotale d’hommes mariés n’est pas admise, même dans des cas particuliers ». La demande d’ordination d’hommes mariés été reprise dans le cadre du Synode sur l’Eucharistie de 2005.

En 1994, le cardinal Kasper posait la question : «Ne faut-il pas ordonner ceux qui dirigent de facto la communauté et qui en ont la compétence ?» Dans une entrevue au journal LeMonde le 21 mai 2008, le cardinal Martini soutenait que faire venir des prêtres de l’étranger, d’Afrique ou d’Asie, n’est pas une solution. La solution se trouve plutôt dans l’accès au ministère ordonné, d’hommes mariés qui ont fait leurs preuves (viri probati).

Quelques évêques sont intervenus. En 2003, l’évêque d’Edmundston, Mgr François Thibodeau demandait à ses diocésains : «Quelles personnes de votre milieu verriez-vous comme pouvant remplacer éventuellement un jour votre pasteur, ses coéquipiers, ses coéquipières ?»

Récemment, l’évêque de Poitiers, Mgr Albert Rouet, insistait : «L’Église ne pourrait-elle pas appeler au ministère presbytéral des personnes mûres, responsables et riches d’une expérience de vie chrétienne ?».

On trouve une position semblable dans le livre de Mgr Fritz Lobinger :«Qui ordonner? Vers une nouvelle figure de prêtres». Pour cet ancien évêque du diocèse d’Aliwal (Afrique du Sud) Il faut aller vers le type de prêtres suivants, qu’il qualifie de «corinthiens» : des hommes mariés, dotés d’une profession, et reconnus pour les services rendus au sein des communautés locales.

Dans le manifeste de 143 théologiens germanophones intitulé « Eglise 2011 : un renouveau indispensable », le document réclame notamment l’accès aux ministères ecclésiaux pour les hommes mariés.

Une autre solution celui de l’ordination des femmes à la prêtrise. Le « Mouvement pour l’ordination des femmes dans l’Église catholique » et l’ordination de facto de plusieurs d’entre elles comptent pour beaucoup dans la perception renouvelée des ministères qui se généralise présentement. La réaction quasi mondiale à la menace d’excommunication par Rome du père Bourgeois en 2011 montre à l’évidence qu’on est loin d’un phénomène marginal. Le manifeste « Eglise 2011 : un renouveau indispensable » réclame également l’accès au ministère ordonné des femmes. Mais la hiérarchie bloquera cette solution innovante, elle pourrait au moins offrir aux femmes le diaconat et le lectorat.

D’autres choisissent une solution mixte. La Fédération Internationale pour le Renouveau du Ministère catholique a tenu à Vienne, du 6 au 9 novembre 2008, un congrès qui prend en compte la sensibilité et les préoccupations qui s’expriment dans presque tous les pays occidentaux en ce moment. Deux membres du Groupe du Manifeste d’Ottawa y ont participé. Le rapport du congrès souligne que cette crise des ministères résulte de l’abus de pouvoir d’une autorité ecclésiastique qui a perdu la confiance des communautés chrétiennes. L’objectif fixé par les participants au congrès est de travailler à une redéfinition des ministères qui donne priorité au «peuple de Dieu» sur l’institution hiérarchique. La réponse aux besoins des communautés doit venir du choix par ces mêmes communautés, de  pasteurs compétents, hommes ou femmes, mariés ou célibataires, en lien étroit avec le vécu du milieu.

Et si la solution était les laïcs ? La publication du document des Dominicains hollandais en 2007 : « L’Église et le ministère. Vers une Église du futur  » est arrivée comme une pièce majeure dans le débat actuel. Le document pousse plus loin la problématique de l’enjeu lié aux ministères dans l’Église. Il questionne la position officielle de l’Église qui s’oppose de façon absolue à la célébration eucharistique en l’absence de prêtre ordonné. Le document fait état de la volonté des communautés chrétiennes de trouver une solution de rechange à la privation de prêtres. En l’absence de prêtres ordonnés, les communautés doivent être en mesure de se débrouiller seules. Elles sont habilitées à désigner la personne qui présidera la célébration eucharistique, tout en espérant que l’évêque procédera à l’ordination de la personne choisie.

Joseph Moingt, l’auteur de «Croire quand même» opte plus «pour une assemblée qui cherche Dieu par le lien social». En gros, des laïcs qui  se constituent en petites communautés autonomes pour leur ressourcement chrétien. C’est de la base laïque que l’auteur a l’espoir de voir repartir l’Église dans un style adapté aux «signes des temps».
Pour Mgr Martini, l’obligation du célibat des prêtres devrait être réservée à ceux qui en ont «la vraie vocation.» Pour Maurice Weitlauff, comme pour de nombreux théologiens et historiens, le célibat imposé n’a pas de justification religieuse. L’encyclopédie catholique Théo mentionne même que «le célibat des clercs n’est pas une exigence d’ordre divin», il est une «question de discipline interne à l’Eglise latine».

Et le texte Presbyterorum ordines 16, rédigé à l’issue du concile Vatican II, précise que «le célibat n’est pas essentiel au sacerdoce».

Jusqu’au deuxième concile du Latran, en 1139, qui a réaffirmé fermement le célibat obligatoire pour les prêtres, le clergé séculier se pliait mollement à cette règle fluctuante héritée du monachisme. La tradition est versatile… La preuve : Pierre en personne avait une épouse, 39 papes furent mariés, et certains coiffèrent même la tiare de père en fils.

Les solutions sont face à nous, mais ne prenons pas comme exemple les protestants qui connaissent aussi une baisse des vocations mais eux ont un clergé marié depuis longtemps. Si nous n’essayons pas ces solutions, alors l’Église sans prêtre sera une réalité, mais que voulez-vous, le Vatican croit que les anciennes recettes sont toujours les bonnes !

Publié le 19 Juillet 2011

Source : http://paroissiens-progressiste.over-blog.com/article-les-solutions-a-la-crise-du-sacerdoce-79768721.html

(1) Rappelons qu’à cette époque les prêtres ne célébraient l’Eucharistie que le dimanche, jour du Seigneur.