Des Femmes diacres, est-ce une révolution ?

Promouvoir des femmes aux fonctions de diacres ?

Les femmes pourront-elles un jour être ordonnées diacres de l’Église catholique ?
Et un jour, peut-être prêtres, c’est à dire chargées de l’accompagnement des communautés.

Il est tout d’abord bien étrange pour un humaniste d’avoir à se poser cette question : le Concile Vatican 2 (1962-1965) a ouvert le diaconat dit permanent à des hommes, mariés ou non. Ils sont quelque 45 000 aujourd’hui dans le monde ; les diacres catholiques peuvent s’adresser à toute la communauté en faisant l’homélie, célébrer des baptêmes, des mariages et des funérailles. Mais pourquoi  ce Concile ne l’a-t-il pas aussi ouvert à des  femmes, mariées ou non ?  Au nom de quoi un tel sexisme ? Pourquoi cette inégalité, cette distorsion sans aucun lien avec la volonté des chrétiens et des communautés de base ?

Le pape François a semblé ouvrir cette perspective, jeudi 12 mai 2016,  au Vatican. Interrogé à ce sujet par des femmes-religieuses venues du monde entier, lors d’une discussion à huis clos, au cours d’une rencontre avec plusieurs centaines de supérieures de congrégations. Il a déclaré qu’il acceptait de constituer une commission chargée d’étudier la question. « Cela ferait du bien à l’Église de clarifier ce point. Je parlerai pour qu’on fasse quelque chose dans ce genre », a déclaré François, selon le site du NCR. S’en est suivi beaucoup d’effervescence dans les milieux féministes.
A l’époque, on disait couramment : « Voulez-vous enterrer une question ? Créez une commission ! » Espérons qu’il n’en est rien !
A partir d’un article de la théologienne Yvonne Gebara (on écrira YG) ([1]), essayons d’y voir plus clair.

YG Constate d’abord le fait d’une inégalité publique au sein de l’église mais aussi au sein de la société.
Pour ma part, je suis intimement persuadé que si l’église catholique progressait dans la question de l’égalité des femmes, cela provoquerait aussi quelques avancées dans la société. Toutefois, n’exagérons rien ; la société civile n’a pas attendu, pas plus que l’Eglise Anglicane ou l’Eglise Protestante, aujourd’hui Eglise Protestante Unie. La société civile a même fait ses avancées profondes dans ce domaine contre l’action de cette église, comme d’ailleurs, rappelons-le, à propos de la laïcité.

Yvonne Gebara met en avant plusieurs questions :

Elle souligne l’affirmation d’un «droit» des deux sexes pour représenter Jésus-Christ devant la communauté, ce qui n’est pas seulement une revendication féministe.
– Voilà des femmes qui demandent d’exercer une fonction, de servir. Pourquoi ne pas ouvrir des espaces pour les femmes quand elles demandent d’être au service de l’Eglise ?
– Mais qu’est-ce que cela signifie d’avoir le droit lorsque l’institution dans laquelle vous voulez avoir des droits est celle qui nie ces droits ou ne supporte pas d’accorder beaucoup de droits aux femmes ?
– Qu’est-ce que cela signifie d’avoir le droit dans une institution dont l’idéologie théologique valorise et encourage le pouvoir des hommes au détriment d’une plus grande participation et de la diversité des services, des charismes et des pouvoirs?
– Qu’est-ce que cela signifie le droit à l’ordination des femmes quand on a une vue de la prêtrise éminemment masculine, anachronique et un mâle symbolisme théologique laïque?
– Que signifie le droit lorsque les autres droits ne sont pas pris en compte frontalement?
– Est-ce que l’admission au sacerdoce ordonné (au niveau diacre) apportera des réponses à ces questions difficiles?

Suit une réflexion sur la théologie du sacerdoce aujourd’hui par Yvonne Gebara.

Le modèle du prêtre d’aujourd’hui se situe dans l’interprétation judaïsante qui semble de plus en plus éloignée des actions et inspirations de l’évangile. Ce système permet à des hommes d’être revêtus de pouvoirs symboliques qui leur permettent de guider la vie mais aussi de manipuler et de dominer en utilisant les écritures pour justifier leurs choix. Il leur donne autorité sur les personnes, et en particulier sur les femmes, et participe au maintien des hiérarchies qui dominent le monde tant au plan économique ou politique que religieux. YG parle dans un autre document de « hiérarchie masculine anachronique » !
Elle plaide « pour la participation des membres dans les services et la construction de significations mises à jour qui devraient être l’objet d’une responsabilité partagée. Cela nécessite un dialogue constant et le partage des connaissances et des pouvoirs pour répondre aux défis toujours nouveaux du contexte dans lequel nous vivons ».
Approfondissant sa réflexion, YG propose une réforme politique de l’église, utile et nécessaire. Comme si la politique et l’organisation actuelle de l’Église émanaient directement de Dieu, selon la volonté de Jésus, et avaient pu rester immuables dans les différents siècles d’histoire et dans les différentes cultures où le christianisme a été implanté ! Il s’agit donc de faire une réforme des théologies qui sous-tendent cette organisation qui tienne compte du pluralisme des situations et des croyances présentes dans les différentes cultures et les moments de l’histoire.
Elle plaide pour les théologies féministes (2) et leur critique du centralisme religieux et éminemment masculin, théologies presque absolument rejetées ou ignorées par les tenants de la tradition masculine.

Elle souligne le risque que, en voulant seulement devenir présentes parmi les prêtres, des femmes ne visent que l’égalité des sexes dans les ministères sans poser des questions plus fondamentales comme le proposent les théologies féministes [i]longtemps ignorées. Ne pas recevoir cela comme une « faveur d’ecclésiastiques ou comme un acte magnanime », ce qui ne changerait pas grand-chose.

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Marie Thérèse van Lunen Chenu de l’association FHEDLES (3) n’hésite pas à fustiger « le manque de capacité de l’Église officielle à se reconnaître ouvertement aujourd’hui patriarcale et mono-sexiste,  liée, telle un serpent qui se mord la queue,  par ses propres interprétations patriarcales et mono-sexistes alors que celles-ci  sont reconnues de plus en plus largement contraires aux références éthiques et aux normes juridiques actuelles ? Ainsi le problème de fond est bien celui du refus de l’autocritique institutionnelle, du manque de discernement et de l’abus de pouvoir, se soldant aujourd’hui par l’incapacité cléricale à se reconnaître sexiste! »

Le christianisme, sous sa forme catholique romaine, est une religion organisée autour de fortes émotions culturelles où le circuit des affects révèle une sorte de division sociale des pouvoirs qui reproduit la société dans laquelle nous vivons, précise YG. Ainsi La figure masculine de Dieu, le Père, le Fils et le Saint – Esprit est du pouvoir absolu socio-émotionnel , tandis que les figures féminines comme Marie et de nombreux saints sont du pouvoir absolu domestique, soignant, chaud, de protection et de guérison. La représentation sacerdotale mâle apparaît attachée trop émotionnellement à la puissance politique absolue des hommes.
Alice Gombault, ancienne Professeur de théologie et de la même Association FHEDLES, parle dans le même sens : « Cela fait plus de 50 ans que les arguments bibliques, psychologiques, sociologiques et historiques ont été abordés et on sait que rien ne s’oppose au diaconat des femmes. Les Églises protestantes ont pris acte de ces avancées. Mais on a vu que, dès que les femmes accèdent à ce premier palier, les autres cèdent les uns après les autres : prêtrise, épiscopat. La hiérarchie masculine  de l’Église catholique, est-elle prête à renoncer à sa position dominante? »
YG conclut « Je suis donc contre l’ordination des femmes  dans le cadre actuel, parce que cela est aussi restrictif et dangereux pour les hommes et les femmes. »
Alice Gombault y met une sérieuse condition, qui est aussi un puissant bémol : « Si dans son désir d’approfondir la question du ministère, le pape François est prêt à aborder une décléricalisation et une désacralisation de celui-ci, alors les femmes y trouveront leur place. »
Dans le contexte actuel qui s’est d’ailleurs manifesté lors des débats sur la famille, espérons que le pape François n’aura pas préjugé de ses forces en sous-estimant et le poids du dogmatisme et les capacités des courants conservateurs et intégristes dans sa propre église. Qui vivra, verra !
Jean

2 Théologies féministes ? qui parmi les fidèles, ou même les prêtres, en a entendu parler ? Allons voir au moins sur Google !

(3) FHEDLES  « Femmes et Hommes Egalité, droits et libertés. » Voir son site fhedles.fr

Ivone Gebara, ex-professeure de théologie au Centre Œcuménique de Services à l’Éducation Populaire à Sao Paulo au Brésil, est actuellement en exil en Belgique, par suite de sa réduction au silence par les instances romaines.