Les comportements évoluent, les conceptions aussi !
Il y a quelques décades, les prêtres faisaient plutôt profil bas. La soutane dont ils étaient affublés les désignait parfois aux plaisanteries faciles. Certains vivaient plutôt retirés dans leurs presbytères et leur jardin, avec ou sans « gouvernantes ». Pour le commun des mortels, c’étaient des êtres mystérieux, sacrés, à part. On les faisait même passer pour des fainéants !! Or une idée révolutionnaire a germé dans le cerveau de quelques uns : vivre comme tout le monde, à l’exemple de Jésus. Et donc partager le même travail pour gagner sa croûte, come tout un chacun. C’est l’émergence des prêtres ouvriers, les PO[1]. Une conséquence du rapprochement des hommes pendant la guerre de 39-45, le maquis, la déportation et le STO (le Service du travail obligatoire … en Allemagne !)
Ils se sont si bien intégrés qu’ils sont devenus syndicalistes, participant aux luttes pour de meilleures conditions de travail, au coude à coude avec leurs collègues. Ils redevenaient eux-mêmes. Très vite, les hiérarques du Vatican ont réalisé que ces hommes échappaient à leur emprise. La riposte ne s’est pas faite attendre. Brutale ! Un diktat : « Interdiction de travailler » sans prendre avis de ceux qui étaient pourtant concernés au premier chef, ces nouveaux « paroissiens » que constituaient les copains de l’usine ! « Interdiction de travailler ». C’était en 1954. Fort heureusement, tous ne se sont pas soumis. Ils ont refusé de trahir les copains de travail. Là était leur solidarité d’hommes. Certains ont renoncé à la prêtrise. En 1965, conséquence du travail du Concile Vatican 2, Paul VI autorisera la reprise de l’expérience.
« Il y a une trentaine d’années, un prêtre du diocèse de Cracovie vint trouver son archevêque, le cardinal Karol Wojtyla, lui confiant avoir une compagne et deux bébés de cette liaison. Il souhaitait revenir à l’état laïc pour éduquer ses enfants et déjà les nourrir. Sur un ton cassant, le futur pape s’y opposa. Il intima au prêtre de rester dans les ordres, de plaquer sa compagne et de confier les deux enfants à une institution d’enfants abandonnés. Sans doute la vision wojtylienne de l’Evangile ! » Extrait de la revue Golias N°94 de 2009.
C’est loin d’être un cas unique. Il nous a été rapporté et, plusieurs fois, le fait suivant. Un prêtre et sa compagne alors enceinte vont rencontrer l’évêque. Il les écoute, puis s’adressant à la femme : « Quand vous aurez accouché, nous placerons l’enfant dans une de nos maisons tenue par des religieuses où il pourra être adopté. » – « Mais c’est mon bébé » s’est-elle écriée ! Abandonner son enfant, il n’en était pas question. Et elle refusa. L’évêque préoccupé de protéger la réputation de son église n’hésitait pas ainsi à sacrifier la vie de famille de cet enfant. On s’interroge : par quelles valeurs essentielles était-il habité ?
Autrefois, quand les prêtres quittaient le ministère, c’était la honte au front, comme des réprouvés. Maintenant, ceux qui partent en ont déjà informé leurs amis, leurs relations, quelques paroissiens tout en leur demandant de garder le secret.
Par contre, lorsque Xavier a annoncé en chaire son départ et la raison de cette nouvelle orientation, les participants ont applaudi ! Le fait a été rapporté lors de son témoignage à la Télé ! Ce qui manifeste très clairement le divorce croissant entre la hiérarchie et une opinion publique naissante dans l’église à qui on refuse le moyen de s’exprimer. A ceux qui demandent de célébrer une dernière messe dans leur paroisse, l’autorisation est généralement refusée. Il est clair que les évêques craignent énormément que les paroissiens manifestent leur approbation, et fassent évoluer les esprits. Peu leur importe de constater que les convictions changent. Eux, ils se doivent d’appliquer les consignes venant d’en haut. Il faut éviter à tout prix la contagion. Alors ils invoquent hypocritement leur sollicitude pour les chrétiens : « Nous ne voulons pas semer le trouble dans les consciences ! » Mais lors de sa messe d’adieu, tel prêtre, curé de paroisse dans le Béarn n’ a pas réuni moins de 1.500 personnes !
Le comportement des évêques, quant à lui, est souvent celui d’un patron impitoyable. Aux prêtres sortants, ils enjoignent de garder un « silence absolu » et de partir « le plus loin possible ». Tel couple a même dû récemment déménager et vider le presbytère la nuit, pour que personne ne s’en aperçoive ! Quant à l’injonction de quitter les lieux dans l’immédiat, Léon a répondu à son supérieur : « Tu n’es pas chez toi ici. Le presbytère appartient à la mairie. Tu n’as pas à me fixer une date de départ ». Et il est resté, le temps de se retourner ! De plus, quelques temps après, il est revenu habiter là où il avait été curé, et où se trouvaient la plupart de ses amis.
Sauf exception rare, les évêques ne se soucient guère de ce que leur ancien « collaborateur » va devenir. Du jour au lendemain, le traitement mensuel est supprimé. La rupture est immédiate et brutale. Rares sont ceux qui prolongent leur traitement quelques mois. Par contre certains, imités par des curés, continueront à prétendre autour d’eux que les prêtres qui se marient ne sont pas heureux !
Mesurent-ils la gravité de leur geste ? priver quelqu’un à la fois de son emploi et de son logement, c’est le jeter dans une situation précaire, puisque les deux sont liés. Certains prêtres réalisent alors combien leur statut les rendait dépendants, leur maigre rétribution ne leur donnant pas les moyens de vivre autonomes. Pire que des salariés d’entreprise ! On se rappelle en effet le temps où les salariés habitaient dans les logements créés par l’entreprise; en perdant leur emploi, ils perdaient du même coup leur logement, ce qui faisait réfléchir avant de se lancer dans une contestation !. Les choses ont évolué pour ces derniers. Mais pas pour les prêtres ! Leur fonction conditionne la totalité de leurs faibles ressources et aussi leur logement. Lorsqu’on est ainsi lié, la parole ne l’est-elle pas aussi ? Liberté conditionnelle ! De plus, les évêques refusent toujours de les considérer comme de vrais salariés afin d’éviter de payer les charges sociales. Ce qui explique des retraites misérables. (Voir le Site de l’Association pour une retraite convenable APRC qui se bat pour obtenir des conditions de vie décentes).
Ces bannis n’ont plus le droit de célébrer ou d’administrer aucun sacrement. Ainsi le même homme qui, peu de jours auparavant, était apprécié de ses paroissiens devrait par décision de l’évêque être considéré comme un paria. Perversité du système ! La fonction d’un évêque est-elle d’exclure ? Ce rejet amène des prêtres à s’interroger sérieusement sur cette soi-disant « fraternité sacerdotale ». Ne serait-ce qu’un trompe-l’œil, une hypocrisie ? Ils ont quelquefois le sentiment d’avoir été exploités par un supérieur hiérarchique bien moins respectueux que tout autre patron d’entreprise dont le comportement est certes en partie réglé par des conventions sociales. Leurs beaux discours ne visaient-ils qu’à maintenir leur diocèse sur pied ? Le fonctionnel a tué l’humain.[2]
Quant aux femmes, parfois véritables militantes, voire auxiliaires pastorales, mais toujours réduites à des postes mineurs, elles se posent des questions bien plus percutantes. Elles sont choquées par le comportement de l’évêque. Comment ce « haut responsable » peut-il manifester tant de mépris pour un ancien « collaborateur » devenu, depuis, leur compagnon ? Certaines tournent carrément le dos à cette église hypocrite. Elles n’abandonnent pas forcément leur foi en Jésus; tout au moins se détournent-elles de cette institution inhumaine parce qu’elle trahit le message d’amour[3].
Par contre un prêtre m’a raconté comment il était allé, avec sa future épouse, annoncer son départ à Jacques Gaillot, alors évêque d’Evreux. Ce dernier l’avait d’abord interrogé sur son devenir. Puis se tournant vers elle, oui, vers elle aussi, il s’était intéressé à son travail d’infirmière. Et en guise d’au revoir : « Aimez-vous et soyez heureux », leur avait-il dit.
Il est des prêtres qui, avant qu’une dénonciation soit déjà parvenue à l’oreille de l’évêque, lui demandent une année sabbatique pour réfléchir. Mais dés lors qu’une bonne âme a cru de son devoir d’aller lui étaler ses soupçons, alors la demande a peu de chances d’aboutir. Jean Paul 2 n’a-t-il pas fait l’éloge de la délation dans je ne sais plus quelle lettre pastorale ?
Parmi les quadragénaires certains osent affirmer une pensée personnelle un peu transgressive. Dernièrement, dans un monastère, tel prêtre ne craint pas de déclarer : « Après tout, Jésus n’a pas prononcé des vœux de pauvreté, d’obéissance et de chasteté ». Tel autre déclare : » Célibat, ok, mais chasteté ? C’est mon problème ! » Dans une émission de télé on a pu entendre avec surprise un jeune prêtre déclarer : « Oui, je suis gay; et voilà mon mari. »
Plein Jour rencontre aussi des prêtres qui ont décidé, mais en couple, de continuer leur ministère. Ce compagnonnage dure depuis 10, 15, 20 voire 25 ans. Naturellement cette situation les oblige à une terrible gymnastique dans la clandestinité. Mais ils témoignent de l’enrichissement de leur ministère par ce retour à une réalité quotidienne qui leur avait complètement échappé : se savoir aimés personnellement, et non en fonction de leur « aura » sacerdotale. Ils disent combien leur manière d’écouter les personnes qui viennent vers eux a changé. Leur discours s’est adapté car leur cœur s’est considérablement enrichi en humanité. Il suffit de feuilleter la revue pour trouver de tels témoignages.
Avec le temps et un peu de courage, on doit bien constater une évolution des comportements. Lorsqu’il s’agit seulement de fréquentation d’une compagne, certains évêques imposent une nomination dans un lieu assez éloigné pour faire cesser ce qu’ils croient n’être qu’une « tocade » passagère ! Mais aujourd’hui 50, 100 ou 200 kilomètres peuvent-ils mettre fin à un amour naissant ? Lorsqu’il s’agit d’un religieux, il arrive qu’il soit nommé… à l’étranger, au Canada par exemple, (c’est arrivé !) de telle sorte que sa compagne ne puisse le retrouver. On se croirait en train de jouer « la précaution inutile » !! Le téléphone et surtout l’Internet avec Skype ont bien changé la donne ! Certains autres ferment les yeux tant qu’il n’y a pas… »scandale ». Des curés, loin de chercher à accabler les « partis », leur proposent de prendre en charge certaines responsabilités dans leur communauté en fonction de leurs désirs et de leurs compétences. Par contre les évêques ne cherchent plus à retenir les prêtres qui viennent leur annoncer qu’ils veulent mettre fin à leur ministère, surtout lorsqu’il y a déjà un enfant.
Mais devant certaines attitudes, les intéressés réalisent de plus en plus qu’ils n’ont plus à se soumettre à une autorité épiscopale abusive. Partir loin ? Tout de suite ? Et pourquoi obéiraient-ils ? Ils choisissent alors leur logement en fonction d’abord de leur lieu de travail à tous les deux. N’est-il pas tyrannique cet évêque qui imposait à un nouveau couple de le rencontrer chaque mois et pendant deux ans avant de pouvoir accéder au mariage religieux « afin qu’ils comprennent, leur disait-il, l’ampleur de leur faute »! Le couple, un peu ébranlé, lui a répondu par une fin de non-recevoir. Et ne relèvait-il pas aussi d’un abus de pouvoir outrageant ce comportement d’un curé qui refuse à un prêtre marié d’assister à l’enterrement de son père ?[4] Il faudrait aussi parler des différentes déclarations de groupes de prêtres, notamment en Autriche, en Allemagne, ou en France qui ont pris positon sur la suppression de cette règle et qui sur certains comportements ont décidé de ne plus obéir parce que, en conscience, ils ne le pouvaient plus.
Une fois retournés à la vie civile, les prêtres mariés s’engagent dans la vie sociale, culturelle, politique, sur le quartier. De nombreux témoignages nous le disent. Ils participent très nombreux à des groupes de partage. On en retrouve dans toutes les Associations de Parvis. Ils se réunissent aussi entre Prêtres mariés. Il existe même une Fédération Européenne des Prêtres Mariés et de leurs Epouses[5], dont le siège est à Bruxelles !
Les comportements évoluent ainsi que la manière de concevoir bien des réalités, notamment celle de rétablir à la base de véritables communautés qui sauront gérer leurs besoins de ministères/services.
L’opinion publique aussi évolue. Mais il convient que nous puissions l’alimenter. Heureusement, les Media sont intéressés; ils constatent que leur public ne comprend plus cette règle moyenâgeuse et ils pensent que cette règle pourrait dans un proche avenir évoluer.
Profitons heureusement de ce créneau !!
Je@n
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[1] Le Père dominicain Marie-Dominique Chenu le qualifiera de « le plus grand événement religieux depuis la Révolution française ».
[2] Même abus de pouvoir que dans les décisions concernant les regroupements de paroisses orphelines sous l’autorité d’un seul curé devenu chef de district : pourquoi se soucier de l’avis des paroissiens ?
[3] Il m’est arrivé de demander à des prêtres : est-ce que le fait d’être prêtre (ou évêque, a fortiori ) t’a rendu plus humain ?
[4] Cf. « Le droit d’aimer ». A Marie Mariani. Le livre vient de sortir.
[5] Site http://pretresmaries.eu