Le pape Adrien 2 convoqua en 869 un concile qui se réunit… à Constantinople (Byzance rebaptisée par l’Empereur Constantin / Actuellement Istanbul) dans la célèbre basilique Sainte Sophie. Ce fut le 4ème concile de Constantinople, convoqué pour faire face à un schisme, celui de Photius marqué entre autres par la lutte entre Rome et Constantinople pour le contrôle de l’évangélisation des Balkans du sud. Il aurait dû être le 8ème concile œcuménique mais ses décisions furent annulées par un autre concile convoqué à Constantinople par l’Eglise grecque 10 ans plus tard, en 879-880. Prélude du schisme appelé Schisme d’Orient qui fut consommé en 1054 entre l’église grecque orthodoxe et l’église catholique romaine, les griefs et maladresses s’étant accumulés, notamment à propos de définitions théologiques (refus par les grecs du filioque et du purgatoire) ou disciplinaires (refus du célibat imposé aux prêtres) ou de prétentions papales à la suprématie. Avant 1054 on ne parlait pas de catholiques ou d’orthodoxes mais de chrétiens. Aujourd’hui, les églises de la Communion orthodoxe ne reconnaissent d’ailleurs que les 7 premiers conciles comme œcuméniques (universels).
En 1123, le Pape Calixte 2 convoque à lui seul un concile qui, cette fois, se réunit… à Rome au palais du Latran, demeure des papes à l’époque. 300 évêques et plus de 600 Abbés (on note au passage l’importance donnée aux moines !). Ce changement de lieu revêt une grande importance. D’abord le concile n’est plus convoqué par l’Empereur comme les précédents. Il marque aussi la rupture avec l’église grecque. Entre ces 2 conciles, 250 ans se sont écoulés, 250 années où le pouvoir des papes a été tenu en état d’infériorité puisque les empereurs du Saint Empire romain Germanique contrôlaient les élections des évêques sur leur territoire et même l’élection des papes. Nous l’avons signalé précédemment. Ce concile se voulait donc une manifestation de la reprise en main de l’église par la papauté, aussi bien à l’interne vis à vis des prêtres et religieux grâce à la réforme dite grégorienne qu’à l’externe vis à vis de l’Empereur. En effet la première tâche qui lui fut confiée fut d’approuver les termes de l’accord dit « Paix de Worms » entre Henri 5 et le pape Calixte 2 qui devait mettre fin à la « Querelle des investitures ». Ce fut le premier des accords qu’on appellera plus tard « concordats ». Grace à celui-ci, l’Empereur laissait aux instances de l’église le choix des évêques, y compris sur le territoire du Saint Empire. « L’Empereur renonce à l’investiture par la crosse et l’anneau. Il accepte la libre élection des évêques par le chapitre de la cathédrale. » (On s’aperçoit au passage que cette dernière modalité a été annulée et récupérée par Rome, attitude habituelle que nous avons déjà signalée !) L’Empereur se réservait de leur donner seulement l’investiture dite « par le sceptre » qui les mettait en possession des biens royaux (regalia) qu’ils s’engageaient à gérer en son nom. Empêcher l’Empereur d’investir des évêques, c’était interdire aux laïcs l’accès au sacré. Cette mesure n’est pas sans répercussion sur la conception même de toute fonction au sein de l’église. Un pape précédent, Pascal 2, avait bien essayé de résoudre la crise en rejetant toute dotation des évêques par l’Empereur de biens temporels ; or ils étaient considérables. Il dut bien vite y renoncer sous la pression des évêques en place qui se voyaient ainsi réduits à la pauvreté, ne vivant que de la seule dîme ! L’assemblée conciliaire ratifia donc le « concordat de Worms ».
Est-ce la fin du césaro-papisme ? Peut-être mais on va alors tomber dans l’excès inverse : le pape s’attribuant tous les pouvoirs, spirituels et temporels à la fois, considérant que l’Empereur reçoit son pouvoir du Pape et ne l’exerce qu’au service de la chrétienté selon ce que lui indique ce dernier (Théorie des 2 glaives) ! L’équilibre est toujours difficile à garder. D’un totalitarisme on tombe facilement dans un autre !
Que fait en outre ce Concile ? Dans le cadre de la réforme grégorienne, il promulgue 24 autres canons, relatifs à la condamnation de la simonie (achat ou vente de charges ecclésiastiques) – qui était le mal le plus important aux yeux des auteurs de la réforme -, mais aussi au concubinage des clercs (prêtres et évêques) et à la mainmise indue des laïcs sur les biens et les fonctions ecclésiastiques.
Durant ce premier millénaire, l’église « recrutait » ses prêtres en grand nombre, si ce n’est majoritairement, parmi les hommes mariés. La réforme grégorienne, soucieuse de maîtriser davantage la discipline de la continence et d’en faciliter la pratique, s’appliquera à mieux choisir et former les candidats au sacerdoce et renoncera petit à petit à admettre aux ordres des hommes mariés. Cette dernière mesure avait en plus l’avantage de régler le problème des héritages des charges et des bénéfices, et de l’entretien des épouses. Le concubinage des clercs était alors toléré du moment qu’il n’y avait pas de scandale. « Le nicolaïsme gênait peu : beaucoup de prêtres avaient une concubine, des évêques aussi. On ne jugeait pas alors un clerc à l’aune de sa vie sexuelle mais de son efficacité politique, de sa présence sur le terrain et de son engagement auprès de ses fidèles. » (1) Les gens souhaitaient surtout trouver dans la personne du prêtre l’homme fort capable de gouverner et de les protéger. C’était le rôle que l’église avait joué dans la protection contre les envahisseurs de tous genres.
Ce concile ne fait donc que rappeler les règles déjà édictées lors de conciles provinciaux précédents mais souvent demeurées inappliquées (Pavie 1022, Bourges 1031). En 1054, le pape Grégoire 7, dont nous avons parlé précédemment, écrivait déjà aux fidèles des provinces de Germanie : « Nous avons appris que plusieurs évêques de votre pays, des prêtres, des diacres et des sous-diacres ont commerce avec des femmes, approuvent ce désordre et le tolèrent. Nous vous prescrivons de ne leur obéir en rien, et de ne point vous soumettre à leurs ordres, de même qu’ils ne se soumettent pas aux préceptes du siège apostolique et à l’autorité des saints Pères. »
Ne pas leur obéir parce qu’ils n’obéissent pas ! Ou encore : ne plus assister à leur messe ! Il ne dit pas que par leurs messes et leurs sacrements on ne reçoit pas la grâce ; certains de ses légats iront cependant jusque-là ; mais accepter cette problématique soulevait alors un problème bien plus embarrassant au sujet des baptêmes qu’ils avaient donnés dans leurs paroisses ou leurs évêchés et mettait en difficulté toute la chrétienté ! Il se contente d’interdire aux fidèles d’assister à leur messe du dimanche, la seule qui se célébrait alors.
Autre argument : seules des mains pures peuvent toucher l’hostie. Parlant des prêtres, Grégoire 7 parlait du « crime de fornication » ! et parlant des épouses de prêtres, il ira jusqu’à parler de « prostituées ». Il s’insurgeait en effet contre ces prêtres qui ne craignaient pas de « toucher en un même laps de temps le corps de la prostituée et le corps du Christ. » Abominable ! la volonté des réformateurs était bien d’établir trois ordres dans le domaine de la sainteté : le moine au sommet, le prêtre ensuite et le laïc tout en bas. La chasteté n’était pas exigée par la fonction elle-même du prêtre ; rien ne le disait dans les évangiles ni dans les règles de l’église des premiers siècles, – le Concile de Nicée en 325 refusa même de légiférer sur cette question -, elle était exigée par la proximité du sacré.
Des révoltes éclatèrent contre les légats ou les évêques qui essayaient de faire appliquer les orientations de la Réforme, notamment en Allemagne. Certains ne trouvèrent leur salut que dans la fuite devant la colère de leur clergé. Les fidèles habitués à respecter leurs prêtres se voyaient encouragés à les juger, à les condamner même. En France, en Allemagne ou en Lombardie le trouble fut considérable. Des laïcs baptisaient eux-mêmes leurs enfants ; les malades refusaient le saint viatique présumé indispensable pour le grand voyage, et des foules piétinèrent les hosties consacrées ! Grégoire 7 venait d’user envers les prêtres de la même arme dont il avait usé contre l’Empereur en dispensant ses sujets de leur serment de fidélité !
Le deuxième concile du Latran marquera une étape nouvelle dans la lutte contre le mariage des prêtres. Il ne se contentera pas de mesures de rétorsion, comme nous venons de le voir. Il engagera la bataille sur le plan juridique en déclarant invalides tous les mariages des prêtres. Mais cela est une autre histoire. Pour le prochain chapitre de la Saga ! S’il est une chose à quoi l’Histoire est utile, c’est bien à la compréhension du présent.
Jean
Extrait du Bulletin Plein jour N°27 de décembre 2014