Réponse : Regardons l’histoire. Elle l’a fait d’autorité, et par milliers, au 12ème siècle !
Reprenons l’histoire du célibat (à la suite du Bulletin PJ27).
Nous avons déjà parlé du premier Concile de Latran convoqué en 1123 par le Pape Calixte2 et, pour la première fois, par un Pape (étonnant, Non ? Auparavant c’est l’Empereur qui le convoquait !) et pour la première fois à Rome, au lieu où habitait alors le Pape en exercice, à savoir le Latran et sa magnifique Basilique, pas encore le Vatican. (Voir PJ N°27). Calixte était le cousin de l’Empereur d’Allemagne ainsi que des Rois de France et d’Angleterre, comme Victor II, 60 ans plus tôt ! Rien que ça ! Il n’était pas rare alors que les Papes soient choisis dans la parenté de l’Empereur ou parmi les grands du royaume. Ce fut le premier Concile convoqué après la rupture avec l’église d’Orient.
A la mort de son successeur Honorius 2 en 1130, un groupe de cardinaux se réunit et élit comme pape Innocent2. Mais un autre groupe de cardinaux, réuni ailleurs, élit comme pape Anaclet2. En fait les 2 papes désignés provenaient de deux familles romaines en guerre l’une contre l’autre, les Frangipani contre les Pierleoni. Les deux papes sont consacrés le même jour dans 2 basiliques différentes à Rome, le premier, Innocent II, à Santa Maria Nuova; le deuxième, Anaclet II, à la basilique Saint-Pierre. Mais alors que Anaclet bénéficie de l’appui des armées du Comte normand Roger de Sicile, ce qui lui permet de s’installer à Rome, Innocent 2, lui, est obligé de s’exiler dans le nord de l’Italie et en France, où il est soutenu par le moine cistercien réputé d’origine noble, Bernard, Abbé de Clairvaux près de Bar sur Aube, et par l’ensemble des États européens. Roger prête hommage au pape Anaclet II et soumet le clergé de son royaume à ce dernier. Le 27 septembre 1130, une bulle pontificale d’Anaclet crée Roger II roi de Sicile, de Calabre et d’Apulie. Naples lui appartient en titre. Enfin, à Noel de 1130, Roger II le protecteur est couronné à Palerme en grande pompe.
C’est le Roi Louis 6 de France qui va mener bataille en réunissant archevêques, évêques et abbés bien sermonnés par Bernard de Clervaux, et qui apporteront enfin leur soutien à Innocent 2. Le roi d’Angleterre suivra ainsi que le tout puissant Empereur du saint Empire Romain Germanique pas trop pressé de remettre de l’ordre alors que cette confusion dans l’église servait ses intérêts. Le conflit se termina… par la mort de l’opposant Anaclet en 1138. Ce Concile du Latran 2, qui fut convoqué dès l’année suivante, aurait pu ne pas avoir lieu ; mais Innocent2 a tenu à s’y affirmer dorénavant comme le seul pape authentique. D’ailleurs de même qu’il avait pris soin quelques années auparavant d’excommunier son concurrent, il continue en déclarant nuls toutes ses décisions et aussi tous ses actes. Du passé faisons table rase, en quelque sorte ! Ce Concile est donc d’abord la sortie d’un schisme. C’était une époque très troublée où le pouvoir des Papes et celui des princes sont encore très imbriqués. Le Concordat de Worms, dont nous avons parlé, signé entre le pape et l’Empereur, assurait une certaine sécurité quant à la nomination des évêques dorénavant confiée… aux Chanoines des cathédrales, ce qui ne durera pas, le pape voulant s’approprier cette fonction.
C’est dans ce contexte qu’Innocent 2 convoqua à Rome en 1139 ce qu’on a appelé le second Concile du Latran.
Cette question des nominations était donc en principe réglée ; en principe, disons-nous, car l’histoire se répètera 20 ans après seulement, en 1159, et pendant 22 ans encore, on aura 2 papes sur le même siège, dont l’un soutenu par l’Empereur Frédéric Barberousse ! Et le 3ème Concile du Latran que convoquera Alexandre 3 en 1178 aura d’abord pour objet, et encore une fois, de mettre fin à ce Schisme et à la querelle entre l’empereur et la papauté. Mais il restait encore deux maux qui affectaient le fonctionnement de cette Église : la Simonie et la question du mariage des prêtres (et aussi des évêques !). La Simonie d’abord et encore, car si l’Empereur ne pouvait plus nommer un proche parent ou quelqu’un de sa cour comme évêque, cependant il établissait ceux-ci comme gérants de ses territoires et donc leur affectait des « bénéfices ». De même les Seigneurs sur leur territoire. A tout office (fonction ecclésiastique) correspondait un bénéfice (revenus substantiels selon les paroisses). Ces postes étaient donc très convoités. Aussi les charges d ‘évêques étaient souvent achetées ; de même celles de curés. Les bénéfices qui en résultaient servaient à payer la mise de départ ; c’était un « retour sur investissement » très rentable. Les 2 conciles de Latran s’élevèrent contre ces procédés, menaçant de déposer le candidat qui aurait acquis ses fonctions pécuniairement. Il faut croire que cette pratique était universellement répandue pour avoir mérité une condamnation par un Concile œcuménique !
Le second des maux de l’Église était lié au mariage des prêtres ; on parlait en fait plus couramment du « « concubinage des clercs » pour englober dans une même vindicte les prêtres mariés honnêtes et les autres. Les réformateurs voulaient imposer au clergé catholique de rite latin l’idéal monastique pour relever son niveau spirituel. N’oublions pas que cette époque a vu se multiplier les créations d’ordres monastiques et de couvents à travers toute l’Europe.
Le problème était double d’ailleurs car la tendance était pour le fils du prêtre de devenir prêtre à son tour, formant ainsi une caste cléricale au sein de l’Église. On a vu dans Plein Jour N° 28 comment Robert d’Arbrissel, le fondateur de l’Abbaye de Clervaux, était fils d’un père Prêtre et fils d’un grand-père Prêtre. Il mourut en 1116 sans être inquiété, soit 7 ans seulement avant le premier Concile de Latran. La conséquence était que le fils ordonné prêtre pouvait reprendre les bénéfices de son père ; ainsi la propriété de l’église devenait une dotation de famille !
Ce concile adopte trente canons, sur des points très variés, comme on va le voir ; certains se situent dans la droite ligne de la Réforme grégorienne et de la réforme du clergé dont nous avons parlé :
– Le 1er et le 2e privent de leurs dignités et de leurs bénéfices ceux qui ont été ordonnés par simonie, et ceux qui ont acheté ou vendu quelque bénéfice.
– Les évêques et les prêtres doivent conserver une mise modeste et proscrire l’ostentation (canon 4). Ne scandaliser personne par la couleur, la forme, ou la superfluité de leurs habits… Il faut croire que régnait un joyeux folklore !
Le 7e défend d’entendre les messes des prêtres mariés ou concubinaires. Il déclare nuls les mariages des prêtres, des chanoines réguliers, des moines, et ordonne qu’on mette en pénitence ceux qui les auront contractés. Ainsi le mariage des prêtres et des religieux est déclaré invalide et non plus seulement illicite comme à latran1.
– Le prêt à usure par des chrétiens est condamné. (Les juifs prendront le relais. On le leur reprochera par la suite !).
– Il est interdit aux moines de se livrer à des études profanes, comme le droit civil ou la médecine (C.9).
Le C.10 se préoccupe encore des biens dits d’église : les laïques qui ont des dimes ou des églises doivent les rendre aux évêques sous peine d’excommunication, même s’ils les ont reçus des évêques ou des princes
– Les tournois sont interdits sous peine de privation de sépulture chrétienne (canon 14). Les gladiateurs blessés seront privés de sépulture chrétienne mais on leur accordera pénitence et viatique.
– Il revient aux chapitres cathédraux et aux supérieurs des ordres religieux d’élire les évêques (canon 28). (ça ne durera pas !)
– L’usage de l’arc et de l’arbalète est proscrit à l’encontre des chrétiens (canon 29). Considérant que l’usage de l’arbalète, qui n’exigeait pas grande formation, permettait à des soldats peu aguerris de tuer à distance, jusqu’à 90 à 100 mètres, un Chevalier en armure qui avait voué son existence au métier de la guerre, le clergé estima que l’arbalète était une arme immorale pour le peu de courage et de formation qu’elle exigeait de celui qui la maniait. Son usage est donc interdit par le ce concile du Latran et confirmée quelques années plus tard, en 1143, par le pape Innocent II, qui menaça les arbalétriers, les fabricants de cette arme et ceux qui en faisaient le commerce d’excommunication et d’anathème. Cette interdiction, par ailleurs valable uniquement pour les combats entre chrétiens, restera médiocrement observée par les princes d’Occident. Aussi durant les guerres médiévales, la France fera souvent appel à des mercenaires arbalétriers étrangers !
– Le 27e canon défend aux religieuses d’aller chanter dans un même chœur avec des chanoines ou avec des moines.
– Arnaud de Brescia (en Lombardie) est condamné pour hérésie. Arnauld était un moine italien qui critiquait la richesse et la corruption de l’Église ; Disciple d’Abélard, il préconisait l’abandon par l’Église de son pouvoir temporel et de ses biens, pour uniquement se concentrer sur le message de l’Évangile. Il prônait déjà la séparation des pouvoirs temporel et spirituel. Mais il voulait aussi restaurer à Rome les pouvoirs du Sénat et de la République. Or la papauté veut devenir la seule institution dirigeante de la société. il gênait donc le pape qu’en outre il critiquait sur son train de vie. Il gênait aussi l’Empereur pour sa défense de la République à Rome. C’en était trop ! Il fut pendu et son corps incinéré pour éviter les pèlerinages à celui que la foule prenait pour un saint moine.
Revenons au Canon 7. Le seul mariage de l’époque, c’était le mariage religieux ! Le mariage que nous appelons civil n’existait pas. Il faudra attendre 1789 en France pour cette dissociation.
Ainsi les délibérés de ce Concile concernent tous les mariages des prêtres, ceux antérieurs à ce concile et ceux qui lui seront postérieurs ; tous sont déclarés invalides ! N’est-ce pas surprenant, même au plan théologique, sans parler de l’aspect humain ! « Que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a unis », répète-t-on à souhait aujourd’hui lorsqu’il s’agit de divorce en particulier. Et ici un Concile annule des mariages célébrés… à la régulière ! Contradiction ? Il en résulta dans la chrétienté une belle pagaille et une vaste résistance en Suède, au Danemark, en Espagne, en Italie même ! L’historien André Vauchez estimera qu’à la fin du Moyen Age fin (15ème siècle), on trouvera encore dans certains pays européens 50% de prêtres mariés ou vivants en concubinage ! Que pouvaient devenir les femmes ? Apparemment le Concile n’en a que faire. Que pouvaient devenir les enfants ? Des bâtards ! Beau résultat !
Nous y reviendrons.
Jean