Certes ce n’est pas la première préoccupation de Plein Jour, mais lorsque les églises bougent, il ne faut pas renier sa joie ! sur ce point comme sur les autres !
États-Unis : les Églises se mobilisent pour les sans-papiers
26 février 2017
Noémie Taylor-Rosner
Aux États-Unis, les Églises entrent en résistance pour les clandestins
traqués par les services d’immigration.
« Que Dieu bénisse nos immigrés ! ». « Jésus était un réfugié ! ». « LA, ville sanctuaire ! ». « La police migratoire, dehors ! ». Sur les pancartes des manifestants venus protester, dans le centre-ville de Los Angeles contre la politique de Donald Trump, les slogans religieux côtoient des messages plus politiques. Et pour cause : les citoyens qui militent au sein du « Sanctuary Movement » sont issus d’horizons très variés : pasteurs, prêtres, fidèles de communautés religieuses mais aussi militants des droits de l’homme ou associations de défense des Latinos.
Debout sur un camion garé en travers d’un carrefour, l’une des organisatrices, le micro à la main, ouvre la manifestation par une prière à l’attention des sans-papiers présents dans la foule : « Que Dieu vous bénisse, qu’il bénisse vos parents, vos enfants. Qu’il vous protège, vous offre un refuge et tout son amour », énonce-t-elle devant une foule suspendue à ses lèvres.
Car, malgré leurs différences religieuses et politiques, tous s’accordent bel et bien sur une chose : la nécessité de protéger et de soutenir les sans-papiers, les réfugiés et tous les autres immigrés aux États-Unis visés par la politique migratoire du nouveau président américain, qu’ils jugent contraire aux valeurs d’hospitalité et de tolérance de l’Amérique.
Né dans les années 80 pour venir en aide aux réfugiés d’Amérique centrale, le Sanctuary Movement connaît une renaissance depuis quelques années, face aux expulsions dont sont de plus en plus souvent victimes les sans-papiers sud-américains, notamment mexicains. De 2009 à 2015, Barack Obama a expulsé quelque 2,5 millions de clandestins : un record jamais égalé par aucun autre président, dans un pays où l’on compte environ 12 millions de personnes en situation irrégulière.
Un droit biblique
Depuis l’élection de Donald Trump, la multiplication des menaces et des mesures hostiles aux immigrés, comme la fermeture des frontières à des musulmans, la construction d’un mur avec le Mexique, la politique d’expulsions massives, a contribué à renforcer considérablement le mouvement.
S’inspirant du principe biblique des cités-refuges qui apparaît dans le Livre des Nombres et qui soutient l’idée d’un droit d’asile, une dizaine de mégapoles comme New York, San Francisco, Los Angeles ou Chicago, ont réaffirmé leurs statuts de villes sanctuaires. Leur maire et leur chef de la police se sont notamment engagés à ce que les forces de l’ordre municipales ne collaborent pas avec les services d’immigration chargés des expulsions, rendant leur tâche extrêmement difficile.
Un véritable affront pour Donald Trump dont l’un des premiers décrets signés quelques jours après son arrivée à la Maison Blanche visait spécifiquement à interdire le principe des villes sanctuaires en les menaçant de les priver de plusieurs milliards de fonds fédéraux. Le 31 janvier dernier, San Francisco a attaqué l’État en justice estimant qu’il s’agissait là d’un « abus de pouvoir anticonstitutionnel de la part du président ».
Des centaines de lieux de culte chrétiens ont également suivi l’exemple des villes sanctuaires. Comme dans les années 80, les luthériens, épiscopaliens, presbytériens, membres de l’United Church of Christ ou catholiques ont annoncé qu’ils étaient prêts à accueillir et héberger dans leurs églises les sans-papiers menacés d’expulsion.
« Quand Trump a été élu, c’est devenu une priorité absolue », raconte le révérend Beth Brown, pasteure de l’église presbytérienne de Lincoln Park, à Chicago, qui a été la première de la ville à accueillir des sans-papiers. Un peu partout aux États-Unis, de nombreux fidèles ont aussi proposé, sous le sceau du secret, d’accueillir des clandestins chez eux.
Le diocèse épiscopalien de Los Angeles a quant à lui mis en place une équipe spéciale afin de s’organiser rapidement. « C’est le résultat inattendu de l’élection qui nous y a poussé », explique son codirecteur, Jaime Edwards-Acton, également pasteur de l’église St Stephen’s à Hollywood. « Mon église est composée d’environ 70 fidèles parlant l’anglais et quelque 70 autres parlant l’espagnol. Beaucoup n’ont pas de papiers et ont très peur de ce qui pourrait leur arriver, à eux ou à leurs proches. Personne n’a encore eu de problème au sein de notre communauté, mais certains sont très angoissés car ils ont des voisins ou des amis qui ont déjà été arrêtés. Et ce n’est probablement que le début », témoigne le pasteur.
Au total quelque 600 personnes ont été visées par des raids aux États-Unis en février, dont quelque 160 en Californie du Sud. Certains possédaient un casier judiciaire, d’autres non.
Face à cette situation stressante, Jaime Edwards-Acton essaye d’apporter à ses fidèles « un maximum d’écoute et de soutien pastoral ». Au sein de l’équipe, « nous sommes en train de créer des réseaux de communication rapides permettant aux fidèles et à leurs familles de savoir immédiatement qui joindre, qui alerter et chez qui aller, en cas de descentes des services d’immigration. Enfin, nous distribuons aussi des cartes rouges ». Ces documents résumant les droits et les protections dont bénéficie toute personne vivant aux États-Unis, quel que soit son statut migratoire.
Le pasteur propose également des formations de « préparation spirituelle à la désobéissance civile » au sein du diocèse. « C’est une action qui doit être réfléchie, motivée par la non-violence et l’amour. Nous voulons que les gens qui participent à ces actions se trouvent dans le bon état d’esprit. »
Une loi à la hauteur
Pour certains, le recours à la désobéissance civile est déjà une évidence. Le révérend Noel Andersen, l’un des leaders de la Church World Service, une organisation new-yorkaise, rassemblant 37 dénominations chrétiennes, très engagée au sein du Sanctuary Movement, estime que la politique de Trump va très clairement « à l’encontre de ce que nos traditions religieuses nous enseignent. Nous sommes au service d’une cause plus élevée, souligne-t-il. Et nous ne devrions obéir qu’à une loi qui en soit à la hauteur ».
Afin d’être le plus efficace possible, les Églises américaines ont aussi de plus en plus recours aux services d’avocats et de juristes capables de les conseiller et de les informer sur les droits des immigrés qu’ils souhaitent protéger.
Annie Lai, professeure spécialisée dans le domaine du droit de l’immigration à l’université de Californie d’Irvine, peut en témoigner. Ces derniers temps, le centre juridique gratuit qu’elle codirige est très souvent sollicité par des associations religieuses. « Il faut d’ailleurs savoir que les communautés religieuses, grâce à leur statut, peuvent aider les sans-papiers de très nombreuses façons, tout en restant dans le cadre de la loi. Il n’est en l’occurrence pas interdit d’héberger des clandestins dans une église car il est admis qu’il existe une tradition de confidentialité entre un pasteur, ou tout autre leader spirituel, et son fidèle, rappelle Annie Lai. Les Églises ont aussi techniquement le droit de limiter l’accès et le passage sur leur propriété privée : à moins d’avoir une autorisation signée de la main d’un juge. Et même si le gouvernement américain décidait subitement de se mettre à faire arrêter les gens dans les églises, cela pourrait aussi probablement être combattu devant les tribunaux en faisant jouer le principe de la liberté religieuse. »