Qu’est-ce que ça donne quand les communautés chrétiennes décident de s’engager à transformer la société ????
Le Sanctuary Movement aux États-Unis : des chrétiens face à Donald Trump
26 février 2017
Noémie Taylor-Rosner
Anthropolog
est spécialiste du Sanctuary Movement.
Elle revient sur son origine et son actualité. Entretien.
Comment est né le Sanctuary Movement aux États-Unis et qui en est à l’origine ?
Au départ, c’est un mouvement qui est essentiellement religieux. Il a été créé dans les années 80 par des communautés et des leaders religieux américains qui ont vu arriver aux États-Unis des centaines de milliers de réfugiés d’Amérique centrale fuyant les guerres civiles dans leurs pays, notamment au Guatemala et au Salvador.
Estimant que ces personnes méritaient le droit d’asile car elles fuyaient la répression politique et les violences, le Sanctuary Movement a pris pour engagement de les protéger des services d’immigration, en les accueillant dans les lieux de culte et en leur portant assistance.
Parmi les plus mobilisés, beaucoup de protestants (luthériens, méthodistes, presbytériens, épiscopaliens, quakers…) et de catholiques, mais aussi des juifs et des bouddhistes. Les croyants chrétiens s’inspiraient notamment des idées de justice sociale prônées par « L’évangile social », un mouvement protestant américain apparu au début du XXe siècle et de celles de la théologie de la libération des années 70.
Ils s’appuyaient aussi beaucoup sur la tradition prophétique qui n’hésite pas à interpeller les puissants et à les mettre face à leurs responsabilités. Au-delà des Églises, le Sanctuary Movement a été appliqué à certaines villes, qui ont elles aussi pris l’engagement de protéger les réfugiés.
En quoi le New Sanctuary Movement dont se réclament aujourd’hui les Églises est-il différent de celui des années quatre-vingt ?
Je dirais qu’il s’agit d’un mouvement plus large, à la fois par ses représentants et par les personnes et les causes qu’il défend. Aujourd’hui, ce ne sont plus seulement les Églises et les villes qui se déclarent sanctuaires, mais aussi les écoles, les campus universitaires et depuis peu les restaurants de ce pays qui emploient un très grand nombre d’immigrés sans-papiers !
C’est donc un mouvement beaucoup plus global. Les enjeux, eux aussi, ont changé : il ne s’agit plus seulement de défendre des réfugiés fuyant la guerre et la répression politique.
Désormais le Sanctuary Movement s’applique aussi et surtout aux immigrés clandestins, qui vivent pour certains depuis des années aux États-Unis et qui sont venus pour des raisons essentiellement économiques et sociales.
Dans les années 80, l’engagement des Églises allait extrêmement loin. Certains fidèles partaient parfois rejoindre certains demandeurs d’asile expulsés, dans leur pays, pour s’assurer qu’ils allaient bien et essayer de leur garantir une protection. Le New Sanctuary Movement est lui encore trop jeune pour dire jusqu’où il ira.
À l’heure actuelle, les Églises peuvent-elles avoir une influence sur la politique migratoire de Donald Trump ?
L’une des grandes forces du nouveau Sanctuary Movement, c’est qu’il est composé d’une multitude de voix issues du monde religieux américain.
Et pour cause : beaucoup d’Églises comptent parmi leurs fidèles des clandestins et sont donc directement concernées par la politique migratoire de Donald Trump.
C’est aujourd’hui le cas des évangéliques [qui ont largement voté pour Donald Trump, ndlr]. Plusieurs pasteurs et leaders évangéliques sont même allés rencontrer le président récemment pour lui demander d’être clément à l’égard des dreamers [des jeunes, d’origine étrangère, arrivés enfant aux États-Unis et n’ayant jamais obtenu de papiers d’identité, ndlr] qui fréquentent parfois leurs églises.
Trump se trouve donc désormais face à un dilemme car il ne veut pas s’aliéner sa base électorale. La voix des chrétiens sur l’immigration est donc peut-être capable de faire plier Trump ou en tout cas de le pousser à assouplir sa politique.
Les Églises sanctuaires sont-elles réellement capables de protéger les clandestins ? Se placent-elles dans l’illégalité en les accueillant ?
Historiquement, les Églises ont toujours plus ou moins bénéficié du statut implicite de sanctuaires. Même si la police a légalement le droit d’y pénétrer, elle s’abstient généralement de le faire.
Depuis 2011, une note des services de l’immigration et des douanes reconnaît même l’existence de « zones sensibles » dans lesquelles ses agents s’engagent à ne pas pénétrer. Elles comprennent les lieux de culte, les écoles, les hôpitaux ou encore les manifestations.
Légalement, les agents ont toutefois le droit d’y entrer, s’ils l’estiment nécessaire. Il n’est pas impossible que le gouvernement actuel cherche à remettre en question le concept des « zones sensibles ». Mais ce serait à mon avis une grave erreur. Car, quelle que soit la position des Américains sur l’immigration, les citoyens de ce pays sont très attachés au respect et à la dignité des lieux de culte.
À moins d’une urgence absolue, la plupart des gens seraient extrêmement choqués s’ils voyaient la police venir arrêter des gens au sein d’une église ou venir perturber son fonctionnement.
C’est déjà arrivé à de rares occasions par le passé et, à chaque fois, cela a eu un effet catastrophique sur l’opinion.
Propos recueillis par Noémie Taylor-Rosner