Voici un long article, ce qui est inhabituel sur notre Site. Nous avons pensé qu’avec un peu de courage, vous ne regretterez pas sa lecture !
Pour la reconnaissance des femmes en Église
Site Femmes et Ministères d’où il est extrait. merci à nos amies Canadiennes/Québécoises : Lien vers le Site « Femmes et ministères »
L’heure du changement a sonné pour l’Église catholique
Publié le 16 mars 2018 par Mary McAleese
Nous vivons à une époque marquée par le changement, mais il y a des endroits où l’égalité des sexes est systématiquement ignorée. L’Église catholique est l’un d’entre eux.
Aujourd’hui, les femmes se demandent pourquoi l’Église est si lente à reconnaître leur valeur et à leur ouvrir les fonctions de gouvernance et les rôles ministériels; des rôles qui intègrent leur foi, leurs dons, leur expertise et leur éducation dans des structures d’autorité à tous les niveaux.
Notre monde fait face à un avenir davantage porteur de sens avec l’inclusion des femmes dans des postes importants. Nous ne laisserons pas l’inégalité entre les sexes miner la longévité de l’Église.
Nos voix agitent les vents du changement, nous devons donc parler. Le pape François et nos pasteurs vont-ils écouter?
Voices of Faith
Les Israélites sous le commandement de Joshua « ont encerclé le rempart de la ville [de Jéricho].., au septième jour au son de la trompette, ils poussèrent un grand cri de guerre et le rempart de la ville s’écroula » (cf. Josué 6, 1-20). Nous n’avons pas de trompettes, mais nous avons des voix, des voix de foi et nous sommes ici pour crier, pour faire tomber les murs de la misogynie de notre Église. Nous encerclons ces murs depuis 55 ans, depuis que l’encyclique Pacem in Terris de Jean XXIII a souligné pour la première fois que la promotion des femmes était l’un des plus importants « signes des temps ».
Elles réclament, dans la vie domestique comme dans la vie publique, les droits et les devoirs qui leur appartiennent en tant qu’être humain[1] […] Le complexe d’infériorité existant depuis longtemps chez certaines catégories de personnes en raison de leur statut économique et social, de leur sexe ou de leur position dans l’État et le complexe de supériorité correspondant à d’autres catégories de personnes devient rapidement une chose du passé[2].
Au concile Vatican II, l’archevêque Paul Hallinan d’Atlanta a conseillé aux évêques de cesser de perpétuer l’idée que « les femmes occupent une place secondaire dans l’Église du XXe siècle » et d’éviter que l’Église soit « en retard en ce qui concerne [leur] développement social, politique et économique. »[3]. Le décret conciliaire Apostolicam Actuositatem mentionnait qu’il était important que les femmes « participent plus largement […] aux différents secteurs de l’apostolat de l’Église »[4]. La constitution pastorale du Concile, Gaudium et Spes, a déclaré que l’élimination de la discrimination fondée sur le genre était une priorité[5]. Paul VI a même commandé une étude sur les femmes dans l’Église et la société[6]. Nous étions alors convaincues que l’Église postconciliaire était en voie d’établir la pleine égalité pour ses 600 millions de membres féminins. Et oui, il est vrai que, depuis le Concile, de nouveaux rôles et de nouveaux emplois ont été ouverts aux laïcs, y compris aux femmes, mais ils ont simplement augmenté très légèrement la visibilité des femmes et ce, dans des rôles subalternes, y compris à la Curie. Et rien n’a été modifié en ce qui concerne leur pouvoir et leur prise de parole. Étonnamment depuis le Concile, les rôles qui ont été particulièrement désignés comme appropriés pour les laïcs ont été délibérément fermés aux femmes. Les rôles officiels d’acolyte et de lecteur[7] et le diaconat permanent[8] ont été ouverts aux laïcs masculins seulement; pourquoi? Les laïcs, hommes ou femmes, peuvent servir occasionnellement à l’autel, mais les évêques sont autorisés à interdire les femmes et, s’ils les autorisent dans leur diocèse, des pasteurs particuliers peuvent les interdire dans leur paroisse[9]; pourquoi?
En 1976, on nous a dit que l’Église ne se considérait pas autorisée à admettre les femmes à l’ordination presbytérale[10]. Cela a empêché les femmes de jouer un rôle important dans le leadership, le développement doctrinal et la structure d’autorité de l’Église étant donné que ces fonctions ont toujours été réservés ou filtrés par des hommes ordonnés. Pourtant, selon la justice divine, l’exclusion permanente des femmes de la prêtrise comme toutes les exclusions qui en découlent auraient dû inciter la hiérarchie de l’Église à trouver des façons innovantes et transparentes d’inclure les voix des femmes comme un droit – et non de façon fictive – dans le Collège des évêques d’institution divine et dans les entités humaines telles que le Collège des cardinaux, le Synode des évêques et les conférences épiscopales de même que dans tous les lieux où la foi est façonnée par les décisions, les dogmes et la doctrine. Imaginez ce scénario normatif – le pape François convoque un synode sur le rôle des femmes dans l’Église et 350 célibataires masculins conseillent le pape sur ce que les femmes veulent vraiment ! C’est ainsi que notre Église est devenue ridicule. Pour combien de temps encore la hiérarchie peut-elle maintenir la crédibilité d’un Dieu qui veut les choses de cette façon, qui veut une Église où les femmes sont invisibles et sans voix dans la direction de l’Église, dans le discernement juridique et doctrinal et dans la prise de décision?
C’est dans cette même salle en 1995 que le théologien jésuite irlandais, le père Gerry O’Hanlon, a mis le doigt sur le problème systémique sous-jacent lorsqu’il a proposé le décret 14[11] à la 34e Congrégation générale des jésuites. C’est un document oublié, mais aujourd’hui nous allons le dépoussiérer et l’utiliser pour inciter un pape jésuite, un pape réformateur, à poser une action réelle et concrète en faveur des femmes dans l’Église catholique.
Le décret 14 dit:
Nous avons fait partie d’une tradition civile et ecclésiale qui a offensé les femmes. Et, comme beaucoup d’hommes, nous avons tendance à nous convaincre qu’il n’y a pas de problème. Cependant, involontairement, nous avons souvent contribué à une forme de cléricalisme qui a renforcé la domination masculine par une sanction apparemment divine. En faisant cette déclaration, nous souhaitons réagir personnellement et collectivement, et faire ce que nous pouvons pour changer cette situation regrettable.
« La situation regrettable » est due au fait que l’Église catholique est depuis longtemps l’un des principaux vecteurs mondiaux du virus de la misogynie. Elle n’a jamais cherché de remède, mais un remède est disponible gratuitement. Il se nomme « égalité ».
Au long de la route millénaire de l’histoire chrétienne s’est manifesté la sublime beauté divine de la Nativité, le sacrifice cruel de la Crucifixion, l’Alléluia de la Résurrection et le cri de ralliement du grand commandement de s’aimer les uns les autres. Mais sur cette même autoroute sont apparues des toxines d’origine humaine, telles la misogynie et l’homophobie sans oublier l’antisémitisme, avec leur héritage de vies abîmées et gaspillées et de dysfonctionnements institutionnels profondément enracinés.
Les lois et les cultures de nombreuses nations et de plusieurs systèmes religieux étaient aussi historiquement profondément patriarcales et excluaient les femmes; certaines le sont encore, mais aujourd’hui l’Église catholique est nettement en retard sur les nations avancées dans l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes. Pire encore, parce qu’elle est la « tribune du monde », pour citer Ban Ki Moon[12], son patriarcat clérical manifeste agit comme un puissant frein au démantèlement de la structure de la misogynie partout où elle se trouve. C’est ironique parce que l’éducation, qui a été essentielle pour la promotion des femmes et pour beaucoup d’entre nous, l’éducation qui nous a libérées, a été dispensée par les travailleurs et les travailleuses de première ligne, clercs et laïcs, qui ont tant fait pour sortir les hommes et les femmes de la pauvreté et de l’impuissance et pour leur offrir de meilleurs débouchés. Pourtant, paradoxalement, ce sont les remises en question des femmes catholiques éduquées et des hommes courageux qui les soutiennent que la hiérarchie de l’Église ne peut tout simplement pas gérer et qu’elle traite avec mépris plutôt que d’engager le dialogue. L’Église qui critique régulièrement le monde séculier pour son incapacité à faire respecter les droits humains n’a presque aucune culture d’autocritique. Elle manifeste une hostilité à la critique interne, laquelle favorise la soumission aveugle frôlant l’idolâtrie institutionnelle.
Aujourd’hui, nous mettons au défi le pape François d’élaborer une stratégie crédible pour inclure des femmes en tant qu’égales dans l’ensemble de l’infrastructure de l’Église, y compris dans sa prise de décision. Une stratégie avec des objectifs, des moyens et des résultats vérifiés de façon régulière et indépendante. L’échec de l’inclusion des femmes comme des égales a privé l’Église d’un discernement nouveau et novateur; on l’a confié à la pensée recyclée d’une élite cléricale mâle hermétiquement fermée, confortablement installée, adulée et rarement contestée par des exécutantes et des exécutants qui travaillent en secret et en vase clos. On a fait taire le Christ et ouvert la porte à la bigoterie. On a laissé l’Église voler maladroitement avec une seule aile alors que Dieu lui en a donné deux. Pour cela et pour les abus flagrants du pouvoir institutionnel, nous sommes en droit de demander des comptes aux dirigeants de l’Église et nous insisterons sur notre droit de le faire, peu importe le nombre de portes officielles qui nous sont fermées.
Au début de sa papauté, le pape François a déclaré : « Nous devons créer encore plus d’occasions pour une présence féminine plus incisive dans l’Église »[13],affirmation qu’un érudit de l’Église décrit comme une preuve de la « magnanimité » de François[14]. Soyons clairs, le droit des femmes à l’égalité dans l’Église relève essentiellement de la justice divine. Cela ne devrait pas dépendre d’une bienveillance ad hoc du pape.
Le pape François a décrit les théologiennes comme les « fraises sur le gâteau »[15]. Il s’est trompé. Les femmes sont la levure dans le gâteau. Elles sont les principales transmettrices de la foi à leurs enfants. Dans le monde occidental, le gâteau de l’Église ne monte pas, le flambeau de la foi s’éteint lentement. Les femmes s’éloignent de l’Église catholique en grand nombre, car celles qui sont censées être des influenceuses-clés dans la formation de la foi de leurs enfants n’ont aucune possibilité d’être des influenceuses-clés dans la formation de la foi catholique. Ce n’est plus acceptable. Il y a quatre mois à peine, l’archevêque de Dublin, Diarmuid Martin, s’est senti obligé de mentionner que « le faible poids des femmes dans l’Église catholique est la principale raison du sentiment d’aliénation à son égard en Irlande aujourd’hui »[16].
Pourtant, le pape François a dit que « les femmes sont plus importantes que les hommes parce que l’Église est une femme »[17]. Saint Père, pourquoi ne pas demander aux femmes si elles se sentent plus importantes que les hommes? Je soupçonne que plusieurs répondront qu’elles font l’expérience de l’Église comme un bastion mâle de paternalisme condescendant auquel le pape François a ajouté sa contribution.
Jean-Paul II a écrit sur le « mystère des femmes »[18]. Parlez-nous comme des égales et nous ne serons pas un mystère! François a dit qu’une « théologie plus profonde des femmes »[19] est nécessaire. Dieu sait qu’il serait difficile de trouver une théologie des femmes plus superficielle que la misogynie déguisée en théologie[20] que le magistère dissimule actuellement.
Et pendant tout ce temps, une théologie plus profonde est sous nos yeux. Il n’est pas nécessaire de creuser beaucoup pour la trouver. Regardons simplement le Christ. Jean-Paul II a souligné que :
Nous sommes les héritiers d’une histoire qui nous a conditionnés profondément. En tout temps et en tout lieu, ce conditionnement a été un obstacle au progrès des femmes. […] Transcendant les normes en place dans sa propre culture, Jésus a traité les femmes avec ouverture, respect, accueil et tendresse. […] Comme nous regardons le Christ, […] il est naturel de se demander : quelle partie de son message a été entendue et suivie?
Les femmes sont les plus compétentes pour répondre à cette question, mais nous sommes réduites à parler entre nous. Aucun dirigeant de l’Église ne s’en préoccupe non seulement parce que nous ne comptons pas pour eux, mais aussi parce que leur formation presbytérale les prépare à ne pas nous traiter en véritables égales.
De retour dans cette salle en 1995, la Congrégation jésuite demanda à Dieu la grâce de convertir une Église patriarcale en une Église de personnes égales; une Église où les femmes comptent vraiment, non pas à la façon définie par les hommes pour une Église patriarcale, mais à la façon du Christ. Seule une telle Église constituée de personnes égales est digne du Christ. Seule une telle Église peut rendre le Christ crédible. C’est maintenant le temps pour cette Église, Pape François.
C’est maintenant l’heure du changement.
Rome, le 8 mars 2018
NOTES
[1] Jean XXIII (1963, 11 avril). L’ encyclique « Pacem in terris », no 41.
[2] Ibid., no 43.
[3] Jordan, Placid (2015, 12 octobre). Changes proposed in role of women in the Church [Changements proposés dans le rôle des femmes dans l’Église]. Catholic News Service. Vatican II : 50 years ago today, [en ligne]. [https://vaticaniiat50.wordpress.com/2015/10/12/changes-proposed-in-role-of-women-in-the-church/] (8mars 2018)
[4] Concile Vatican II (1966). Décret Apostolicam actuositatem, 18 novembre 1965, no 9. AAS, 58, 846-.
[5] Concile Vatican II (1966). Constitution pastorale Gaudium et Spes, 7 décembre 1965, no 29. AAS, 58, 1048-1049.
[6] Elle a été reportée en 1976.
[7] Code de droit canonique de 1983, can. 230 §1.
Cf. Paul VI (1972). Lettre apostolique, Ministeria Quaedam, 15 août 1972, no 2-4; 7. AAS. 64, 529-534.
Anciennement nommés ordres mineurs d’acolyte et de lecteur, ils sont désormais nommés ministères. Des ministères peuvent être attribués à des laïcs chrétiens; par conséquent, ils ne doivent plus être considérés comme réservés aux candidats au sacrement de l’ordre. […] Conformément à l’ancienne tradition de l’Église, l’institution aux ministères de lecteur et d’acolyte est réservée aux hommes.
[8] Code de droit canonique de 1983, can. 1031 §2.
En 2016, le pape François a mis en place une Commission pour examiner la question de l’ordination des femmes au diaconat. Le rapport aurait été sur son bureau depuis un an en mars 2018.
[9] Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements ( 27 juillet 2001). Letter Concerning the use of female altar servers [Lettre Concernant l’utilisation des servantes de messe]. [http://www.womenpriests.org/church/femserv.asp]
[10] Congrégation pour la Doctrine de la Foi (1976, 15 octobre). Déclaration Inter Insigniores sur la question de l’ordination des femmes au sacerdoce ministériel.
[11] Écrit avec l’aide entre autres de deux laïques irlandaises, Cathy Molloy et Edel O’Kennedy. Pour l’arrière-plan du décret, cf. M. J. Heydt, « Solving the mystery of Decree 14 : Jesuits and the situation of women in Church and civil society » [« Résoudre le mystère du décret 14 : les jésuites et la situation des femmes dans l’Église et la société civile »] [http://www.conversationsmagazine.org/web-features/2015/12/27/solving-the-mystery-of-decree-14-jesuits-and-the-situation-of-women-in-church-and-civil-society]
[12] Selon le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki Moon, dans son discours d’ouverture à la soixante-dixième session de l’Assemblée générale des Nations Unies, 25 septembre 2015, Doc. ONU A / 70 / PV.3, 1.‛
[13] François (2013, 24 novembre). Exhortation apostolique Evangelii Gaudium, no 103. AAS 105, 1019-1137. Cf. L’interview de François par le père A. Spadaro, SJ, pour le magazine America dans lequel il a répété ces mots, le 30 septembre 2013 (Dans la version modifiée en ligne).
[14] Zagano, Phyllis (2013, 25 septembre). What the Pope really said [Ce que le Pape a vraiment dit]. NCR [en ligne]. [https: // www.ncronline.org/blogs/just-catholic/what-pope-really-said].
[15] François (2014, 5 décembre). Discours à la Commission théologique internationale. Cf. H. Roberts (2014, 11 décembre). « Women theologians are the ‛strawberry on the cake’ » [« Les femmes théologiennes sont ‛la fraise sur le gâteau’ », dit le pape. The Tablet.
[16] D’après une conférence intitulée « L’Église de Dublin : où sera-t-elle dans 10 ans? » à l’église St Mary, Haddington Road, tel que rapporté dans le Irish Times, 16 novembre 2017.
[17] Réponse du pape François à une question d’un journaliste: « Verrons-nous un jour des femmes prêtres dans l’Église catholique? » sur un avion papal en revenant à Rome en provenance des États-Unis, le 29 septembre 2015. Cf. NCR, [en ligne]. [https://www.ncronline.org/blogs/ncr-today/pope-francis-reaffirms-ban-women-s-ordination]
[18] Jean-Paul II (1988). Lettre apostolique, Mulieris Dignitatem , no 15, août 1988. AAS 80, 1653-1729.
[19] Entretien avec des journalistes à bord d’un avion en direction de Rio de Janeiro, le 22 juillet 2013. Cf. John Allen (2013, 29 juillet). Le pape concernant les homosexuels. Qui suis-je pour juger? Cf. NCR, [en ligne]. [https://www.ncronline.org/blogs/ncr-today/pope-homosexuals-who-am-i-judge]
[20] Cf. Manfred Hauke (1988). Women in the priesthood. A systematic analysis in the light of the order of Creation and Redemption [Les femmes dans la prêtrise. Une analyse systématique à la lumière de l’ordre de la Création et de la Rédemption]. Ignatius Press.
Traduction, version du 17 mars 2018 : Michel Goudreau et Pauline Jacob
Texte original : http://www.womensordination.org/2018/03/09/mary-mcaleese-the-time-is-now-for-change-in-the-catholic-church/#_ftnref