La Croix : Quel est l’objectif de la rencontre de Genève ?
José Andrès Murillo : Nous allons discuter de la manière de lutter contre toutes les formes d’abus, et spécialement les abus sexuels en contexte spirituel, mais aussi contre les dérives sectaires en milieu religieux, en commençant par l’Église catholique.
Nous ne nous battons pas contre une institution en particulier mais contre toutes les certitudes qui conduisent à une culture de l’abus et de la couverture de ces abus, comme le pape l’a d’ailleurs souligné dans sa lettre aux catholiques chiliens.
Nous sommes convaincus que les institutions ne changent pas sans la pression d’une forme de contre-pouvoir. Comme toute institution – qu’elle soit religieuse, politique ou économique –, l’Église catholique sera tentée de rester immobile, fermée sur elle-même, si la société n’exige pas d’elle un changement.
La Croix : Que faut-il faire pour changer la culture qui a conduit à ces abus ?
J. A. M. : Juan Carlos Cruz, James Hamilton et moi-même (trois victimes de l’ancien prêtre chilien Fernando Karadima, NDLR.) allons adresser au pape dans les prochains jours une lettre qui est en quelque sorte la formalisation de toutes les conversations que nous avons eues avec lui, avec son entourage et entre nous. Nous y listons les mesures très concrètes auxquelles nous avons réfléchi ensemble pour lutter contre la pédophilie et travailler à un changement de culture dans l’Église.
Sur le plan canonique, nous demandons que la couverture des abus sexuels sur mineurs figure au même titre que ces abus parmi les delicta graviora, les délits que l’Église considère comme les plus graves ; que la prescription soit levée d’office et non au cas par cas pour les abus sur mineurs ; qu’il soit obligatoire pour tous les évêques et supérieurs, quel que soit le pays, de signaler les cas d’abus sexuels aux autorités civiles de leur pays. Au Chili, les évêques ont seulement l’obligation de ne pas empêcher le travail de la justice… Mais cela paraît évident, car le contraire serait un crime !
Il faut aussi que l’Église réfléchisse à une forme de réparation : on est très bien documenté aujourd’hui sur les conséquences dramatiques de ces abus, qui sont encore plus profondes pour les victimes de prêtre car elles étaient dans une grande vulnérabilité en raison d’une confiance et d’une ouverture presque totales au prêtre. Elles ont besoin de réparation dans de nombreux domaines : psychique (des années de thérapie pour s’en sortir), matériel et économique, spirituel, etc.
Une autre mesure concerne les évêques. Beaucoup de chrétiens très engagés dans ce combat se trouvent face à un mur quand il s’agit de collaborer avec leur évêque. Il faudrait donc obliger ces derniers à suivre des formations régulières sur les droits des enfants, sur les dynamiques abusives, etc. Et être très clair sur le fait que seront mis à la porte tous ceux qui auront commis ou couvert des abus.
Plus largement, il s’agit de repenser le pouvoir des communautés chrétiennes et notamment des femmes : celles-ci doivent agir comme un contre-pouvoir ou plutôt comme faisant partie du pouvoir et pas comme complémentaire, du dehors… Cela peut aider à changer assez vite les dynamiques de pouvoir abusif.
La Croix : Le cas du Chili est spécifique. Mais l’Église universelle doit-elle tout de même en tirer des leçons ?
J. A. M. : Le Chili n’est pas un cas isolé, il est au contraire, à mes yeux, assez emblématique de ce qui se répète dans de nombreux pays. Beaucoup commencent à réagir différemment à ces scandales et c’est bien; mais il reste encore un chemin énorme à parcourir.
Il y a aujourd’hui encore beaucoup de contextes abusifs dans l’Église, dans tous les pays où les prêtres ont beaucoup de pouvoir et où rien ne se passe, en apparence. S’il n’y a pas de crise dans un pays, c’est suspect et il faudrait au contraire y être davantage attentif. C’est presque certain que des problèmes y ont été cachés.
La Croix : Qu’attendez-vous du pape François ? Avez-vous confiance en lui ?
J. A. M. : Il a déjà envoyé un signal aux évêques chiliens qui ont donné leur démission, mais cela doit avoir des conséquences, sinon ce n’est pas sérieux. Nous pourrons lui faire davantage confiance s’il accepte ces démissions. Elles doivent être réelles. Toutes. C’est vrai que tous n’ont pas eu le même niveau de responsabilité – certains ont couvert des abus, d’autres en ont commis… – mais, concrètement, tous les évêques ont la responsabilité d’avoir fonctionné comme une petite corporation qui s’est protégée elle-même.