« François, arrêtez le massacre » : la supplique de Nancy Huston au pape sur la pédophilie
Après le scandale de pédophilie qui vient de mettre en cause l’Eglise catholique de Pennsylvanie, l’écrivaine Nancy Huston, dans une tribune que publie « Le Monde », demande au souverain pontife de mettre fin au dogme du célibat des prêtres. 20.08.18.
Tribune.
Cher François,
Je vous écris un 15 août, jour de l’Assomption de la Vierge, ayant appris ce matin à mon réveil, en écoutant la radio, le nouveau scandale de pédophilie qui, en Pennsylvanie cette fois, vient « éclabousser » l’Eglise catholique : sur une période de soixante-dix ans, 1 000 enfants abusés ou violés par des prêtres et, compte tenu de la célérité des intéressés à escamoter les preuves et de la honte des victimes à témoigner, on peut être certains que ce chiffre est encore inférieur à la vérité. Pour nombreux qu’ils soient, les cas connus ne constituent sûrement que la pointe de l’iceberg.
Comme moi, comme d’autres, vous devez être frappé par la ressemblance entre cette salve de révélations « scandaleuses » et une autre, qui défraie l’actualité depuis bientôt un an : celle des témoignages #metoo sur le harcèlement sexuel. Ici et là, même propension des hommes à profiter de leur pouvoir pour satisfaire leurs besoins sexuels.
Si l’on mettait à la disposition des enfants du monde entier un site Internet sur lequel ils pourraient déposer leur plainte en toute impunité, ce « balancetonpretre » provoquerait à coup sûr un tsunami mondial qui, par sa violence et son volume, dépasserait j’en suis certaine celui de « balancetonporc ». Seraient encore reléguées au silence, il est vrai, les nombreuses victimes qui, en raison de leur jeune âge (18 mois, exemple entendu ce matin) ou de leur misère (d’innombrables enfants du tiers-monde, illettrés et/ou non connectés) n’auraient pas accès au site.
Bien entendu, la dénonciation ne suffit pas. On peut s’égosiller jusqu’à en perdre la voix, si l’on ne change pas les données qui « engendrent » ces gestes intempestifs, ils continueront à se produire. Pour les harceleurs de tout poil, il serait de la toute première importance de chercher les causes de leur passage à l’acte machiste. Pour les prêtres catholiques, en revanche, point n’est besoin de chercher. La raison est là, évidente, flagrante comme le nez au milieu du visage.
François, c’est un massacre
Pourquoi s’en prennent-ils de façon si prépondérante aux enfants et aux adolescents ? Non parce qu’ils sont pédophiles – la proportion de vrais pédophiles parmi les prêtres est sûrement aussi minuscule que dans la population générale – mais parce qu’ils ont peur, et que les plus jeunes sont les plus faibles, les plus vulnérables, les plus faciles à intimider, les moins aptes donc à les dénoncer.
S’ils abordaient avec leur sexe tumescent – ce pauvre sexe nié, perpétuellement réprimé – des adultes de leur paroisse, ou s’ils allaient rendre visite aux travailleurs et travailleuses du sexe, ils seraient « pris » tout de suite. Avec les enfants, ça peut durer des années… des décennies. On prend les nouveaux enfants de chœur… On prend les fillettes qui viennent de faire leur première communion… On prend cette toute jeune femme, dans le secret du confessionnal… ce tout jeune homme, pendant les vacances en colonie… On a sur elle, sur lui, sur eux, une ascendance, un pouvoir plus qu’humain, quasi divin… Et l’année d’après, on recommence, avec les mêmes ou d’autres… François, ce n’est pas un sacre, c’est un massacre.
À moins de se dire que seuls les pédophiles et des pervers sont intéressés par le sacerdoce chrétien, le problème n’est ni la pédophilie ni la perversion. Il faut abandonner ces clichés une fois pour toutes. Le problème, c’est que l’on demande à des individus normaux une chose anormale.
C’est l’Eglise qui est « perverse » dans son refus de reconnaître l’importance de la sexualité et les conséquences désastreuses de son refoulement.
Il est bien connu que Jésus n’a rien dit à ce sujet
Ces dernières décennies, nous autres, pays chrétiens, ou États laïques issus du christianisme, avons pris l’habitude de dénoncer les coutumes d’autres cultures que nous considérons comme barbares ou injustes : je pense notamment à l’excision ou au port de la burqa. À ceux qui les pratiquent, nous aimons à faire remarquer que nulle part dans le Coran (par exemple) il n’est stipulé que l’on doit couper leur clitoris aux petites filles ou couvrir le visage des femmes, que ces pratiques ont commencé pour des raisons précises, à un moment précis de l’Histoire, afin d’aider les sociétés à mieux organiser les mariages et gérer la distribution des richesses. Les jugeant foncièrement incompatibles avec les valeurs universelles (liberté, égalité, fraternité) et les droits de l’individu – notamment le droit à l’intégrité corporelle, nous nous estimons en droit de les interdire sous nos latitudes.
Or, ceux qui les pratiquent les considèrent comme irréfragables, constitutives de leur identité… de la même manière exactement que l’Eglise catholique considère le dogme du célibat des prêtres ! N’entrons pas, ici, dans le débat byzantin des raisons plus ou moins avouables pour lesquelles, après la scission des deux Églises, orientale et latine, celle-ci a tenu à se distinguer de celle-là en rendant obligatoire le célibat de ses officiants. Il est bien connu que Jésus n’a rien dit à ce sujet. Si lui-même n’a pas pris femme, il y avait parmi ses apôtres des hommes mariés et, à d’autres époques et sous d’autres formes, le christianisme a autorisé ses prêtres à se marier. Il l’autorise encore. Le dogme du célibat ne remonte qu’au Moyen Age, un grand millier d’années après la mort du Christ.
Le rôle de l’Eglise est de protéger les faibles
Ce qu’il s’agit de souligner c’est que ce dogme, qui fait largement autant de dégâts que l’excision ou que la burqa, est lui aussi le résultat d’une certaine évolution historique. Cela veut dire qu’elle peut être annulée par une autre décision historique, décision que vous seul, cher François, êtes en mesure de prendre. Oui, vous seul avez la possibilité de lever l’injonction au célibat sous toutes les latitudes, protégeant ainsi d’innombrables enfants, adolescents, hommes et femmes à travers le monde.
La preuve a été refaite et refaite. Le célibat obligatoire des prêtres ne marche pas. La plupart des prêtres ne sont pas chastes. Ils n’arrivent pas à l’être. Il faut en prendre acte et enterrer une fois pour toutes ce dogme inique. Il est criminel de tergiverser alors que, partout où il sévit, le massacre continue. Vous le savez, François ; nous le savons tous. Le rôle de l’Église est de protéger non les forts mais les faibles, non les coupables mais les innocents. « Et Jésus dit : Laissez les petits enfants, et ne les empêchez pas de venir à moi ; car le royaume des cieux est pour ceux qui leur ressemblent » (Matthieu 19:14). Depuis mille ans, combien de millions d’enfants ont été détournés de l’Église, dégoûtés de l’Eglise, empêchés de venir à Jésus, en raison de ce traumatisme ?
Alors, dites STOP, François. En tant qu’autorité suprême de l’Eglise catholique, ce serait de loin l’acte le plus important, le plus courageux et le plus chrétien de tout votre mandat. Vous ne le feriez pas pour votre gloire personnelle… et pourtant, cela ne fait pas de doute, cette décision vous apporterait une gloire immense. Pendant des siècles, les prêtres et leurs ouailles vous remercieraient de votre prescience, de votre humanité, de votre mansuétude.
Ayez ce courage, je vous en conjure. Le moment est venu. L’Église doit cesser de cautionner (et donc de perpétuer, c’est-à-dire de perpétrer) des crimes qui, à travers le monde et les âges, ont bousillé des vies sans nombre. Dites BASTA, François.
Et si vous ne le faites pas, de grâce… expliquez-nous au moins pour quelles raisons vous ne voulez pas le faire.