Augustin engendre le concept de « péché originel »
L’histoire de la règle du célibat imposé, mais dans l’église catholique romaine seulement, ressemble à un long chemin chaotique et pourrait même être classée comme un cas d’école d’une règle jamais vraiment acceptée par ceux qu’elle entendait régir.
En effet des historiens soulignent l’importance de la décision du deuxième concile de Latran en 1139 ; ce qui n’empêche pas les historiens notamment américains de noter qu’au 15ème siècle, 50 % des prêtres sont mariés et acceptés par le peuple. Cf. Site de Plein Jour « https://plein-jour.eu » , article : « Saga 5 : Histoire du célibat ecclésiastique historique dans l’ECR ».
Mais pour bien comprendre les efforts souvent vains pour imposer cette règle, rien n’est plus éclairant que de remonter l’histoire. Il faut la situer dans cette ambiance d’hostilité au plaisir qui caractérisa très tôt certains « théologiens », et non des moindres, et qui eut une influence considérable tout à la fois sur la conception du mariage, sur l’image de la femme et sur le célibat imposé aux ecclésiastiques.
Aujourd’hui nous parlerons de cet homme contrasté, Augustin, mort en 430, qui fut marié plusieurs fois avant de devenir évêque d’Hippone (= Bône puis Annaba, ville située dans l’Algérie actuelle) en 396.
Jeune, il prit tout d’abord une compagne; il avait alors environ 16 ans; mais celle-ci ne plaisait pas à sa mère Monique qui lui en destinait une autre qu’elle estimait plus de son rang. Augustin pratiquait avec elle une contraception très sévère, n’ayant de relations qu’aux jours qu’il pensait infertiles.
Malheureusement pour lui, une erreur de calcul et patatras, voici un fils. Augustin avait 17 ans. Il le nomma Adeodat (donné à Dieu). Sa mère Monique, qu’on qualifie aujourd’hui de Sainte, c’est-à-dire modèle à imiter, fit tout pour l’amener à renvoyer cette compagne au motif qu’elle n’était pas de son rang. Augustin finit par céder et la renvoya après 13 ans de vie commune. Il en « éprouva, dit-il lui-même, une déchirante blessure » mais il garda l’enfant ! Cette femme partit en Afrique et lui promit de ne jamais plus connaître aucun autre homme, ce qui l’impressionna beaucoup. Monique lui destinait une épouse plus digne et plus riche mais malheureusement trop jeune encore.
Augustin n’attendit pas et il se procura une seconde « maîtresse » comme il le dit lui-même[1] . Il fréquentait alors la secte des manichéens très répandue dans les milieux cultivés, qui préconisait l’ascèse à ses adeptes avec une caractéristique étrange : elle approuvait le plaisir mais refusait toute procréation ! En effet la religion du perse Mani fut une des 3 grandes religions du moyen Orient avec le christianisme et plus tard l’Islam; elle prônait même pour certains un idéal de virginité, ce qui rejoignait étrangement la position de Ambroise, l’évêque de Milan. Ce dernier baptisa Augustin lorsqu’il décida de se « convertir » au christianisme vers 386.
Il prit alors un tournant à 180 degrés qui se traduisit par le refus du plaisir, la condamnation de toute contraception et l’approbation de la procréation mais… sans plaisir ! allez donc comprendre ! il pensait que l’acte conjugal peut conduire au péché mortel en cas de jouissance excessive : seul l’acte conjugal qui a en vue essentiellement – et même exclusivement – la procréation est sans faute. Cette conception fera bien des émules et jusqu’à notre époque. Ennemi juré du plaisir, il prescrivit l’abstinence pour tous les dimanches, les jours de fête, les périodes de carême, et d’une manière générale dans tous les temps de prière.
Ces prescriptions nous font sourire aujourd’hui mais nous verrons que, à d’autres époques, des évêques ont réussi à imposer aux croyants ces mêmes prescriptions… et à en être écoutés, à ce qu’on croit ! On peut se demander les raisons de cette schizophrénie sexuelle !
Le souvenir de son infidélité à sa première compagne lui causait de tels tourments que cela se traduisit par un mépris croissant de l’amour sexuel. Il avait mauvaise conscience de son attitude passée. Aussi chercha-t-il pendant toute sa vie à comprendre ce qu’il prenait pour une défaillance personnelle. Il en trouva la cause non en lui-même (exonération un peu facile !), mais dans un « péché originel », péché commis par Adam et Eve et qui leur valut l’exclusion du paradis. Il interpréta ainsi les textes de la Genèse, premier livre de la Bible, en les prenant au pied de la lettre comme un fait historique, interprétation digne des intégristes d’aujourd’hui. Magnifique excuse !
L’appellation « péché originel » est de son cru. Et ce « péché » du premier homme Adam, dans sa théorie (on pourrait dire dans sa théologie) il le fait retomber sur toute l’humanité. Ainsi, d’après lui, tout être humain naît en état de péché ; de ce fait il est naturellement disposé à rechercher le mal. C’est ce péché originel qui s’exprime notamment dans le désir sexuel, la libido, la concupiscence. On comprend qu’il se soit opposé à d’autres chrétiens qui avaient au contraire une pensée positive sur la sexualité ! Manque de chance, ce sont ses idées qui sont restées comme étant la traduction véritable du message de jésus. (Tragique erreur, ce pessimisme sur la vraie nature des hommes ! )
Augustin fut un rhéteur. Le mot ne nous dit pas grand chose aujourd’hui sauf pour ceux qui en philosophie ont fait de la « rhétorique » ! Il désigne l’art ou la technique de persuader, généralement au moyen du langage, par des arguments de raison. Aujourd’hui on parlerait d’un excellent orateur. Et il en usa contre plusieurs « ennemis de l’intérieur ». Après les « manichéens » dont il avait un temps partagé la pensée, Augustin combattit les « pélagiens » qui, au contraire, avaient un avis très positif sur le plaisir sexuel. Ils le considéraient comme naturel. Cela déplut à Augustin. Il en tira la conclusion que ces derniers refusaient donc de croire au péché originel. Cette conception d’un « péché d’origine » va empoisonner toute la théologie et ce, jusqu’à nos jours.
Parmi les gens contre lesquels Augustin argumenta, il y avait une certain Julien, et son histoire nous concerne aussi. Qui était-il ? Brillant intellectuel, issu de l’aristocratie « italienne », Julien fut le meilleur défenseur des idées du moine ascète Pélage.
Mais Julien était un prêtre marié, fils d’un évêque catholique de la corne sud-est de l’Italie actuelle. Son épouse,Titia, était la fille d’un autre évêque catholique Emile de Bénévent, au Nord de Naples. Voilà qui nous donne déjà un tableau de la pratique du célibat à cette époque.
Tout cela ne devait pas plaire à Augustin ! Tout en restant marié d’ailleurs, Julien fut même nommé évêque d’Eclane (en Campanie) en 416. Augustin le combattit comme disciple de Pélage. Il s’opposa à lui jusqu’à le faire « foutre dehors » de l’église (excommunier, dit-on dans le langage stylé).
Restons-en là aujourd’hui mais ce dernier fait nous donne aussi une petite idée de ce qu’était la configuration normale du clergé de l’époque.
A suivre, si vous le voulez bien !
Jean
NB. Article visible dans le N° 15 du Bulletin.