(Voir N° 16 Bulletin Plein Jour 2012 »Haro sur les femmes » )
Dimanche 6 novembre 2011. Le pape Benoît XVI avait terminé son homélie dominicale. « Une féministe du mouvement ukrainien « Femen », dont les militantes ont pour habitude de manifester les seins nus, a réussi à atteindre la Place Saint-Pierre où elle s’est partiellement dévêtue juste après l’Angélus du pape. Quatre autres féministes de « Femen » ont été interceptées par la police avant de parvenir au Vatican. Ces femmes voulaient attirer l’attention sur leur cause au moment où le pape Benoît XVI prononçait la traditionnelle prière dominicale de l’angélus sur la Place Saint-Pierre. » (Nouvel Obs 06 11 2011)
Quoi que l’on pense de ce genre de manifestations des femmes ukrainiennes, elles nous invitent à faire deux remarques :
1) Le mouvement a commencé il y a 3 ans en Ukraine « pour dénoncer la prostitution, le tourisme sexuel, ou le harcèlement dont sont victimes les étudiantes des universités en Ukraine ». Un slogan : « Freedom for women » (« Liberté pour les femmes »). Les manifestations se sont ensuite déplacées en France (pour DSK), en Italie (pour Berlusconi) et aussi en Suisse. Et nous voilà surpris de constater que ce soit d’Ukraine que cela nous arrive ! Pourtant l’Ukraine est un très grand pays au passé prestigieux politiquement mais aussi culturellement, malheureusement mal connu. Et cet épisode nous rappelle une fois encore que toute femme a droit au respect, que ce qui est un droit ne lui est pas encore accordé spontanément mais qu’il doit encore se conquérir.
2) Autre remarque : pourquoi avoir précisément organisé cette manifestation à Rome sous le regard du Pape et au milieu des fidèles de la Place St Pierre ? Pourquoi faut-il que ce soit des femmes ukrainiennes qui viennent nous rappeler que l’église est – et a toujours été – un des puissants freins à la libération des femmes ?
Nous l’avons évoqué dans le précédent numéro de PJ à propos d’Augustin (fin 4ème- début 5ème siècle) concernant ce fond de méfiance voire d’hostilité vis à vis du mariage et de la sexualité en général, et pas uniquement à propos des prêtres. Continuons notre tournée !
Il existait un vieux fond païen à cette attitude. Elle résulte de cette peur d’un divin que l’on craint. Selon une croyance ancestrale l’intimité des dieux exige l’abstinence sexuelle du fidèle. Avant toute visite dans un temple et tout contact avec des objets sacrés, il convient d’observer un certain nombre de jours de continence, dira Démosthène le grand orateur athénien du 4éme siècle avant Jésus Christ ! Des prêtres des temples païens sont même allés jusqu’à la castration volontaire afin de ne pas être souillés par le contact sexuel et de remplir ainsi dignement leur rôle d’intermédiaire entre les hommes et les dieux ou les déesses. « Il faut être chaste pour pénétrer auprés des dieux » disait Cicéron, le grand orateur romain du premier siècle (toujours avant Jésus christ). Chose troublante ! cette phrase fut même citée par le pape Pie 11 en 1936 à propos du célibat ! Ce qui est à la fois un abus d’utilisation puisque Cicéron parlait pour tout fidèle et non pour les prêtres seuls, mais aussi un comble : aller chercher des justificatifs dans les pratiques d’avant notre ère, oubliant au passage que, entre temps, Jésus avait apporté de singuliers correctifs à toutes ces notions ! Au Temple de Pergame (ville située aujourd’hui sur la côte ouest de la Turquie) une inscription invitait les fidèles qui voulaient y entrer à un jour de purification après tout rapport conjugal, mais deux jours après un rapport extra-conjugal !!!
Synode (rencontre d’évêques spécialement convoquée en vue de prendre des décisions importantes) Qui s’est tenu à Elvire pour l’Espagne.
Il faut s’interroger sur ce lien entre sexualité, virginité, chasteté, célibat d’un côté et de l’autre « le sacré ». Notre tour d’horizon en fait l’essai.
Il y avait en Orient des chrétiens qui, pleins de générosité, décidèrent de choisir un mode de vie qu’ils estimaient pour eux plus conforme au message de Jésus. Ils se retirèrent de la vie en société pour s’isoler afin de ne pas « succomber aux tentations un monde », souvent dans des lieux assez inaccessibles. S’isoler, donc vivre seul, ce qui se dit « monos » en grec, d’où est sorti le mot « moine ». D’autres préférèrent s’isoler, mais à plusieurs pour vivre en collectivité de moines autour d’un guide spirituel, un ancien. Ce fut la création des « monastères ».
Pacôme, un égyptien, fils de famille riche et païenne, ancien soldat de l’empereur Constantin, se convertit au christianisme au début du 4ème siècle; il fut, si l’on peut dire, l’inventeur de cette formule nouvelle . Il construisit selon des règles d’emplacement militaire son premier « monastère » sur une ile au milieu du Nil, un peu au dessous d’Assouan, et lui donna une règle très sévère inspirée aussi de principes de la sagesse égyptienne : une vie austère, ascétique même (on ne mange qu’une fois par jour et on jeune souvent), obéissance absolue, obligation de chasteté parfaite, silence, prière… La chasteté est le précepte-clé et la plupart des prescriptions très détaillées, voire tatillonnes, sont conçues pour la préserver, notamment le silence destiné à prévenir une trop grande intimité entre les frères. « Un moine est censé ignorer les appétits des sens. »
Pacôme eut tellement d’influence que des hommes et même des femmes affluèrent en grand nombre auprés de lui et il créa autant de « monastères ».
En Occident la formule plut aussi ! Benoit de Nursie (Histoire chasteté p.126) au 6ème siècle transplante ce mode de vie en le modifiant . Il établit une règle dont le titre est resté comme « la règle de Saint Benoit ».
Ce mouvement est révolutionnaire dans la mesure où il jette le discrédit sur toute autre forme de vie que monastique. Ses penseurs croient qu’il ne peut exister de vie authentiquement chrétienne sans chasteté et sans détachement du monde. Voilà donc la vie chrétienne parfaite que les moines voudraient imposer à tous les chrétiens, mais surtout d’abord aux prêtres malgré les protestations de certains évêques.
– Dès le quatrième siècle, une tendance générale, sous l’influence des moines, se manifesta donc pour adopter les coutumes monastiques. Vers l’an 305 se tint à Elvire en Espagne prés de Grenade un synode local : « Un prêtre qui dort avec sa femme durant la nuit qui précède la messe perdra son travail (décret 43). » Aussi étonnant que cela puisse paraître, en fait ce synode reprend ici la pratique des prêtres juifs du temple de Jérusalem, ceux que Jésus a tant critiqués.
Les Evêques Paphnuce et Dionysius protestèrent vivement contre cette intrusion des moines dans la vie cléricale. Ils invoquèrent la pratique apostolique selon laquelle le célibat n’était pas lié au sacerdoce. Saint Pierre n’était-il pas marié ? ainsi que probablement la plupart des Douze ? Lors du célèbre Concile de Nicée en 325, alors que certains Pères voulaient imposer la continence aux prêtres et aux évêques mariés avant leur ordination sous prétexte que le mariage est une « souillure » et l’union conjugale, « quelque chose de méprisable » : « N’imposons pas aux hommes consacrés un joug pesant », s’écria l’évêque égyptien Paphnuce. « C’est une chose honorable, également, que l’union conjugale et le mariage, en soi, est exempt de souillure. Prenons garde par cet excès de rigueur, de faire plus de tort que de bien à l’église ! »
Synsius, évêque de Ptolémaïs, grande ville grecque située en haute Egypte, écrivit aux fidèles de son diocèse une lettre pastorale pour protester contre cette volonté des moines à imposer leurs lois au clergé diocésain. « Je ne puis cacher ce que je veux que tout le monde sache bien: Dieu, par la main sacrée de Théophile, évêque d’Alexandrie, m’a donné une épouse. Or je déclare hautement que je n’entends ni me séparer d’elle, ni avoir des relations clandestines avec elle, à la manière des adultères. La séparation serait impie, les rapports clandestins contraires à la règle du mariage. Je veux donc avoir d’elle de nombreux enfants …» Voilà un langage clair et honnête, tout à l’opposé d’une hypocrisie ecclésiastique de circonstance.
– (ajouter quelques règles de vie monastique/ pour détente !)
Nous parlons ici non de dogmes, mais seulement de règles disciplinaires dont on voit bien qu’elles étaient très contestées. Mais en fait qu’en était-il de la pratique ? Il a fallu y revenir trés souvent dans différents synodes ou conciles. N’est-ce pas le signe que dans les faits, ça ne suivait pas !
Nous verrons une prochaine fois comment cette influence des moines se continua jusqu’à la réforme dite « grégorienne », celle d’un certain Hildebrand devenu pape sous le nom de Grégoire, mais qui fut auparavant quasiment un moine bénédictin.
NB. article visible dans le N° 16 du Bulletin trimestriel.