Célibat, vision intégriste de la « Tradition »
Caractéristique commune des attitudes fondamentalistes aussi bien qu’intégristes, la crispation conservatrice allègue l’attachement inconditionnel à une » tradition ».
Quelle tradition ?
Multiples sont les origines de ce « culte de l’immobilisme » : en amont, une lecture erronée de l’histoire, l’incompréhension du présent, la peur de l’avenir, mais aussi la récupération qui en est faite, pour l’acquisition et le maintien d’un pouvoir religieux et / ou financier. Face à ces raideurs, qu’en est-il de problèmes de fond – tellement « dérangeants » qu’on va souvent jusqu’à nier leur existence – auxquels est confrontée l’Eglise catholique romaine, tels que celui du célibat des ministres ordonnés ?
Sans que soit abordé ici le silence voulu des autorités ecclésiastiques quant à la non-observation par de très nombreux prêtres du mode de vie « chaste » qu’implique l’interdiction qui leur est faite de se marier, il y a lieu de constater la désinformation de beaucoup de chrétiens, pratiquants ou non, sur cette question du célibat des prêtres. Cette désinformation, entretenue par la hiérarchie(1), est liée en partie à un regard « intégrisant » ou « fondamentaliste », sur le célibat des prêtres et, de façon générale, sur le ministère presbytéral :
- Une lecture sélective et tendancieuse des textes du Nouveau Testament : on focalise sur ce qui est considéré comme allant dans le sens de la théorie prônée (en l’occurrence celle de la supériorité du célibat) sur le mariage comme état de vie ! ) et on laisse dans l’ombre ce qui lui est contraire. D’autre part, on ne tient pas compte du contexte de l’époque et de la société dans lesquels tel texte a été écrit.Exemples :
- Selon l’évangile de mathieu 19,12, Jésus dit : « […] il y a des eunuques qui sont nés ainsi du sein maternel ; il y a des eunuques qui ont été rendus tels par des hommes : et il y en a qui se sont eux-mêmes rendus eunuques à cause du Royaume des Cieux ». Ces paroles sont souvent citées(2) à l’appui de l’idée du célibat « comme signe du Royaume à venir auquel le prêtre se consacre tout entier ». Or, cette interprétation réduit les paroles de Jésus à une catégorisation, et même une hiérarchisation des états de vie en fonction de l’état ou non de mariage, qui va même, en poussant la logique de la survalorisation du célibat, jusqu’à l’interdiction du mariage pour les prêtres. On a fait de Jésus un canoniste, alors que, tout au contraire, on sent dans ses paroles un souffle de liberté très novateur par rapport à la mentalité de l’époque, où le mariage était une obligation sociale(3) : la possibilité était offerte à des hommes et des femmes non seulement de se marier, mais aussi de ne pas se marier pour se consacrer à Dieu par l’intermédiaire souvent du service de la communauté, sans pour autant leur conférer une quelconque supériorité. Il ne s’agissait pas plus d’interdire le mariage de ceux et celles qui sont amené(e)s à être chargé(e)s du service de la communauté que de les obliger à se marier !
- De même, lorsque Paul écrit (1 Co 7) : « Il est bon pour l’homme de s’abstenir de la femme. […] Je voudrais bien que tous les hommes soient comme moi ; mais chacun reçoit de Dieu un don particulier, l’un celui-ci, l’autre celui-là. Je dis donc aux célibataires et aux veuves de rester ainsi, comme moi. Mais s’ils ne veulent pas vivre dans la continence, qu’ils se marient », ne peut-on pas y voir le témoignage d’un homme qui, vivant une situation de célibat socialement réprouvée (en particulier parce qu’elle exclut la procréation d’une descendance), déclare que le célibat est possible et même licite et que lui-même, le vivant bien, préconise ce mode de vie, tout en reconnaissant qu’il n’est pas fait pour tous. Accessoirement, et par un manque de logique bien typique de la lecture fondamentaliste, qui sélectionne ce qui l’arrange, dans l’argumentaire en vigueur actuellement où l’on s’appuie sur cet écrit de Paul pour préconiser le célibat des prêtres, on fait abstraction de la recommandation qu’il fait aux veuves (heureusement pour elles !) de ne pas se remarier…
- Enfin, ceux qui interprètent à leur gré les écrits du Nouveau Testament font allègrement l’impasse sur Gn 2, 18 : » Il n’est pas bon pour l’homme d’être seul », comme sur les passages permettant de supposer l’état matrimonial de tel ou tel apôtre, en particulier Pierre – Ex. : 1 Co 9-5 :« Pourquoi n’aurions-nous pas le droit d’amener avec nous une femme chrétienne comme les autres apôtres, les frères du Seigneur et Céphas [Pierre] ? », et autres passages des Evangiles bien connus (Mt 8.14 ; Mc 1.29-31 ; Lc 4.38-39) où il est fait mention de la belle-mère de Pierre.
- une méconnaissance de l’histoire – ou une occultation des réalités historiques. L’intégrisme religieux a tendance à faire l’amalgame entre :
- ce qui relève des vérités de foi, c’est-à-dire les dogmes, et ce qui ne fait l’objet que d’un article de loi dans le « règlement intérieur » de l’Eglise catholique, le droit canon ;
- des coutumes et rites très liés à une histoire relativement récente (souvent du 19ème siècle) et un environnement social déterminé, et la « Tradition » au sens proprement religieux, c’est-à-dire la transmission du message évangélique.
De ce fait, bien des chrétiens ignorent que le célibat des prêtres n’a aucun fondement théologique et n’est qu’une règle de discipline que l’Eglise catholique romaine impose à ses ministres ordonnés (1139, 2ème Concile du Latran). Combien savent que, après Pierre, 5 papes au moins étaient mariés (avec enfants), 11 étaient fils de pape ou de prêtre, sans compter les 6 papes qui eurent des enfants illégitimes après 1139 ?
Cette ignorance, liée à la tendance de focaliser un besoin de « sacré » sur des personnes, a pour conséquence un regard « déformé » – et déformant ! – d’une grande partie des chrétiens sur leurs prêtres. A ces derniers, on demande à la fois d’être des hommes parmi les hommes, et en même temps de se comporter comme s’ils étaient asexués et amputés définitivement de tout besoin affectif ! Certes, ils sont conditionnés à vivre cette contradiction permanente par leur formation et, après leur ordination, par l’emprise du système clérical. Mais quel gâchis d’énergies et quel décalage par rapport à l’image que l’on veut donner d’un prêtre idéalisé, paradoxalement bien moins humaine que celle que nous a laissée le fondateur du christianisme, « Dieu fait homme », à travers les écrits de ses disciples.
Certes, il incomberait aux premiers intéressés, les prêtres eux-mêmes, d’œuvrer pour que soit enfin brisé le carcan dans lesquels les a enfermés une vision « intégriste » de leur fonction, génératrice de mensonges, de situations fausses et de souffrances en tous genres (celles de beaucoup d’entre eux, mais aussi d’autant de femmes qu’il y a de prêtres concernés !). Il leur suffirait pour cela de témoigner en public de ce qu’ils vivent.
Mais très peu osent le faire, car ils seraient aussitôt mis en demeure par leur hiérarchie de choisir entre renoncer à leur relation avec une femme ou quitter leur fonction. C’est donc à nous, celles de leurs compagnes qui peuvent et osent le faire, de parler.
L’association PLEIN JOUR nous permet de sortir de l’ombre et par là même de faire avancer la réflexion sur l’un des aspects de la future réforme en profondeur des ministères que même les tenants de l’immobilisme ne pourront éviter, dans un avenir relativement proche, ne serait-ce que du fait de la pénurie des effectifs.
1) et même accentuée par l’abondance des textes officiels, ces dernières décennies : encyclique de Paul VI « Sacerdotalis coelibatus » (1967),« Lettre aux prêtres » (Jean-Paul II), 8 avril 1979, « Pastores dabo vobis »(Jean-Paul II) 25 mars 1992, mettant très haut la barre quant au profil du prêtre idéal, prôné comme modèle.
(2) cf. dans « Theo », Ed. Fayard/Droguet & Ardant, p. 986 « Le célibat des prêtres »
(3) comme encore de nos jours dans de nombreuses sociétés.
Voir aussi l’article « Célibat » dans l’encyclopédie Wikipedia