« Je souhaiterais vous interviewer…! »
Une journaliste nous a demandé une interview. Rien que de l’habituel.
Mais à partir de ses questions, d’autres questions et réponses me sont venues.
Question : Combien de prêtres ont-ils quitté leur ministère ?
Il conviendrait au préalable de préciser le ot « quitter ». En effet certains prêtres n’ont pas « quitté » leur ministère de leur propre chef ! on les a obligés à le quitter ! Ce n’est pas la même chose. Qu’est-ce que cela veut dire ? Tout simplement qu’un certain nombre auraient souhaité pouvoir continuer à exercer leur ministère à condition de pouvoir continuer aussi un compagnonnage ou un mariage officiels ! Mais l’autorité hiérarchique les a obligés à partir. Ils ont été purement et simplement exclus, rejetés ! La consigne était d’ailleurs la même dans la plupart des diocèses : « Vous partez tout de suite et le plus loin possible ». Les conditions de licenciement dans une entreprise sont heureusement plus humaines !
Voici quelques pages de vies rencontrées : Thierry était professeur de philosophie dans un séminaire. Il y était donc hébergé, nourri, chauffé, lavé… Sa rémunération ? elle se limitait à un peu d’argent de poche. Dés l’annonce de son projet de mariage, il a dû partir, sans argent. Dans la poche, l’adresse d’un ami avec qui il s’était trouvé au séminaire… à Rome quelques années auparavant. Heureusement l’ami était resté fidèle !
Xavier est aujourd’hui en fonction. A sa compagne qui s’interroge sur la pérennité de cette situation, il répond simplement : « Je considère qu’il n’y a aucun empêchement pour que des prêtres soient mariés. Pas d’opposition entre mariage et ordination, contrairement à ce que nous rabâchent les évêques pour justifier cette règle du célibat. D’ailleurs celui que l’on considère comme le premier pape, l’apôtre Pierre, était marié. C’est en toutes lettres dans l’évangile puisque, à sa demande, je pense, Jésus va soigner sa belle-mère. Un beau geste ! »
« De même les premiers « episcopos » (= »surveillant » dans le sens bienveillant de « veiller sur » ), qui avaient en charge les communautés issues de la prédication de Paul, étaient la plupart du temps mariés. Paul exigeait seulement qu’ils soient de bons père de famille. Mais aujourd’hui notre situation reste précaire ! Nous le savons et nous le redoutons car la dénonciation a été scandaleusement érigée en vertu dans cette Institution par Jean Paul 2 ! »
Bernard était vicaire épiscopal dans un grand diocèse. Il était donc très proche de son évêque dans une relation de travail quotidien. Il va lui annoncer qu’il a l’intention de se marier, et c’est la stupéfaction ! l’évêque ne peut se faire à l’idée de perdre un tel collaborateur : « Les prêtres du diocèse ont confiance en toi; et moi, j’ai besoin de toi. Alors j’oublie tout ce que tu m’as raconté. Je te recommande seulement de rester discret. » Par honnêteté envers sa famille et ses amis, Bernard partira car il sait la position de son évêque intenable à long terme !
Encore un dernier : Hugo s’est marié il y a quelques années. Il va trouver de temps en temps son ancien évêque avec qui il entretient une bonne relation. A chaque entretien il lui redit : « Vous le savez, si vous avez besoin de moi, je reviens et vous pouvez me confier un ministère. Une seule condition : je suis marié et je le reste évidemment. Et vous me prenez comme tel. » Et avec un ton désolé, l’évêque lui répond systématiquement : « Tu sais bien que c’est impossible aujourd’hui ! »
Après avoir évoqué quelques conditions de départ très variées, essayons de répondre à la question quantitative qui était posée par la journaliste : Combien ? Nous l’ignorons : car il n’y a pas de réponse fiable ! Et pourquoi donc ?
Il serait pourtant bien facile de réunir les données que possède chaque diocèse et de faire une compilation; elle permettrait de dresser une statistique fiable. Pourquoi donc cette disposition n’existe-t-elle pas ? Est-ce cette éternelle culture du secret ?.Elle a pourtant fait un mal énorme à l’institution à propos de la pédophilie ! Est-ce la peur de la contagion ? Mais dans un diocèse les prêtres se connaissent et tous savent qu’un tel est parti ! Certains d’ailleurs le savaient d’avance, en confidence ! Est-ce la peur de l’opinion publique, la peur du scandale des fidèles, la peur du qu’en dira-t-on ? Par contre lorsque certains prêtres qui étaient curés ont pu annoncer en chaire leur prochain mariage, on se souvient des applaudissements qui ont salué cette annonce ! Lors d’une excellente émission télé, ces faits ont été relatés. On sait par ailleurs que 65 à 70% des catholiques sont favorables au ministère de prêtres mariés.
Au lieu de cela, on préfère ne livrer aucun chiffre. On en reste donc à des hypothèses. On estime à 100.000 le nombre de prêtres « partis » dans le monde; certains parlent même de 150.000 (Site portugais RUMOS) ! dont 10.000 en France.
D’ailleurs même les statistiques publiées par le Vatican sont à interpréter. Elles ne concernent en effet que les prêtres qui se sont adressés à l’administration du Vatican pour obtenir la trop fameuse « réduction à l’état laïc », terme vraiment méprisant, mal traduit du latin « reductio », qui signifie « reconduite » et qui induit d’ailleurs l’idée que le « laïc est un chrétien de seconde zone » ! Alors que Paul 6 avait accordé assez largement cette possibilité, Jean Paul 2 l’avait réduite au maximum, pensant certainement freiner l’exode ! Conséquence : bien des prêtres n’ont pas attendu cette autorisation et se sont mariés… à la mairie, comme tout un chacun et ils s’en sont tenus là !! Certains d’ailleurs, par principe, par fierté personnelle et par conviction, (et ils sont nombreux), n’ont jamais voulu déposer une telle demande. Beaucoup d’autres l’ont fait… pour ne pas choquer leurs parents ou leur famille !
Il est exact qu’une large vague de départs a déferlé sur l’église catholique, surtout en Europe et en Amérique du Nord, dans les années 70, mais je peux témoigner du fait que, dans un séminaire bien connu dirigé par des Sulpiciens, déjà entre 1950 et 1954 trois professeurs sont « partis »; deux d’entre eux étaient profs de philo; le troisième, ancien avocat, « vocation tardive », comme on disait alors, prof de droit canonique au séminaire,… est parti lorsqu’il a eu son deuxième enfant ! Il a d’ailleurs trouvé assez vite une place comme prof de droit dans une faculté d’Etat.
Au delà du manque de statistiques fiables, Il est assez surprenant de constater que aucune étude sociologique sérieuse n’a été réalisée ou tout au moins diffusée, aucune étude des « pourquoi » ! La question mérite d’être posée : Pourquoi cette carence ? Dans quelle entreprise ou société internationale accepterait-on de voir ainsi partir des cadres en nombre si important sans tenter d’en comprendre la cause, grâce à une analyse sérieuse et documentée ?
L’une des réponses réside d’abord dans la crainte de répercussions malignes auprès des fidèles, comme on l’a signalé plus haut; or les fidèles n’ignorent pas ces départs; ils sont aux premières loges pour cela car ils en subissent les effets. Le regroupement autoritaire de paroisses, unités de base à échelle humaine, en un conglomérat appelé « district » ou « secteur » qui en regroupe 4, 5, 10, voire 30 ou 40 prouve qu’il ne s’agit que d’un palliatif à la carence de prêtres ! et non une méthode de la dite « nouvelle évangélisation » !
Mais une autre explication est avancée. Il y a en effet différentes manières de camoufler des faits : celle de l’autruche qui, pour ne pas voir, enfouirait, dit-on, sa tête dans le sable ! ou encore celle de l’homme stupide qui casse le thermomètre pour ne pas s’apercevoir qu’il a de la fièvre. Ici ce départ de milliers de prêtres n’est pas traité comme un fait sociologique par la hiérarchie. Elle considère qu’il s’agit de … cas particuliers ! N’importe quel sociologue avisé pâlit devant cette affirmation! Ce fait aurait mérité une étude approfondie. Mais décider d’y réfléchir appellerait bien évidemment la recherche d’une solution au problème. Et c’est peut-être dans le refus de ce second terme de l’équation qu’il faut rechercher l’absence du premier !
Question de la journaliste : Tous les prêtres « partis » ont-ils pris cette décision en vue de se marier ?
Contrairement à ce qui en est dit, la réponse est : absolument pas. Une enquête sérieuse pourrait nous le dire. Le Site portugais donne le chifre de 50%.
On ne peut donc argumenter qu’à partir de cas connus.
Certains ont décidé franchement d’arrêter leur ministère par désaccord avec les dogmes, les rites ou la morale de cette église. Ils ne pouvaient continuer à prêcher ou à promouvoir ce à quoi ils ne croyaient plus, au moins sous cette forme-là, ou à imposer des règles qu’ils trouvaient désuètes et déshumanisantes, notamment au confessionnal. Une exigence de leur conscience !
Nombre de laïcs catholiques ont décroché de l’église catholique dés 1968. Lors du Concile Vatican 2 (1962-1965), Paul 6 s’était réservé la décision sur plusieurs questions dont la contraception et la règle du célibat des prêtres; attitude assez choquante d’ailleurs de la part d’un pape vis à vis de l’ensemble des évêques rassemblés, ce que Jean 23 ne s’était jamais permis ! Le 25 juillet 1968 Paul 6 promulgue « Humanae vitae », une lettre encyclique (c’est-à-dire destinée à l’univers entier); son titre : « Lettre sur le mariage et la régulation des naissances ». Ce fut une immense déception pour les catholiques. Elle déclarait « intrinsèquement déshonnête » toute méthode artificielle de régulation des naissances, réaffirmant ainsi la position traditionnelle de la hiérarchie (composée par principe de célibataires !) à l’encontre d’une opinion publique très largement favorable à un assouplissement de la doctrine catholique. Cette prise de position déclencha une profonde crise d’autorité dans l’Église. D’abord les catholiques en grand nombre décidèrent que sur ce point de leur vie privée, c’était à eux seuls de décider. Ils s’interrogent d’ailleurs sur cette manie de la hiérarchie de vouloir réglementer la vie des fidèles jusque dans ses aspects les plus personnels; la sexualité ? une véritable obsession dans cette église ! (Voir les Saga 1 et 2). Qu’y a-t-il en effet de plus personnel dans un couple que de fixer à deux quel sera le moment le plus favorable pour avoir des enfants et pour assumer la lourde charge de les élever en fonction d’un tas de paramètres familiaux : santé, moyens financiers, nombre d’enfants déjà nés… Certains prêtres refusèrent d’être auprès des fidèles les porte–paroles d’une telle règle. Mais ils se trouvaient là-dessus en porte-à faux avec l’ECR [1], la dessus comme sur bien d’autres points. Et à la fin, ils jugèrent plus honnête de mettre fin à leur fonction.
Tous ne se sont pas mariés; selon des statistiques communiquées par le Vatican, un certain nombre de ceux-là (5 ou 8% peut-être), auraient demandé d’être réintégrés, essentiellement parmi les religieux. Mais on ne sait s’il s’agit d’africains, d’asiatiques ou d’européens !
De plus pour demander cette fameuse « reconduction », il faut remplir un dossier et dans le cadre d’une pseudo-enquête, les services du Vatican ne manquent pas d’attribuer aux requérants des difficultés psychologiques personnelles : « des situations d’instabilité affective , des « dépressions », « de graves limites de comportement », mais aussi « des crises de la foi », « des conflits avec des supérieurs ou des difficultés avec le magistère » » C’est inimaginable ce que peut inventer cette institution pour s’auto-justifier, s’empêcher de se remettre en cause et rejeter sa responsabilité sur les autres ! Pourtant pour se lancer à 30, 40 ou 50 ans dans une seconde vie ; je peux témoigner qu’il faut tout au contraire avoir le cœur bien accroché, la tête bien en place et la volonté aguerrie!
Question : Qu’en est-il aujourd’hui ?
La situation pour l’ECR ne fait qu’empirer car les défections continuent, surtout en Europe, aux Etats-Unis et au Canada
Et le danger s’aggrave dans 2 directions. Le 23 juin dernier, ordination à Bruxelles-cathédrale. 5 prêtres. Extraordinaire ! Oui, mais sur les 5, un seul prêtre belge, trois colombiens et un malgache. De plus sur les 5, quatre proviennent d’un séminaire dit « Redemptoris mater » dirigé par le Chemin néo-catéchuménal ! A Nîmes, prés de Montpellier, en 2012-2013, on compte deux séminaristes pour tout le diocèse de Gard !
Au séminaire actuel de Lille, et pour 5 diocèses, il y a 13 séminaristes. 13 pour 5 diocèses, et sur les 3 ou 4 années de théologie.
Tout cela ne présage rien de bon pour l’avenir, sans compter les prêtres qui continuent de partir. Nous en sommes témoins privilégiés à Plein Jour. Comme me le confirmait un ami, le métier d’évêque devient un métier impossible. d’un côté une réalité insupportable (raréfaction des pratiquants et manque de prêtres) de l’autre un contrôle tatillon des nonces et les dénonciations intégristes ! Des jours plus difficiles encore s’annoncent donc si les nominations d’évêques se font sans l’assentiment des chrétiens, si les évêques n’arrivent pas à se décider à agir autrement, s’ils n’assument pas leur responsabilité pastorale dans la gestion de leur propre diocèse en n’étant plus réduit au rôle de préfets d’une administration centrale !
Jean
Extrait du Bulletin N°22 de septembre 2013
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[1] ECR Eglise Catholique Romaine