L’esprit du christianisme de Joseph Moingt
Octobre 2018
Ce livre est le testament d’un des plus grands théologiens actuels et sans doute le plus âgé, puisqu’il est né en 1915. Testament au sens où cet homme à la fin de sa longue vie livre en toute liberté ce qui lui semble être le cœur même du témoignage de Jésus relayé par les premiers chrétiens ( ce qu’il appelle « la prédication apostolique »). Celle-ci a été, hélas, dès les premiers siècles et jusqu’à nos jours, recouverte par toutes sortes d’élaborations théologiques ( que J. Moingt appelle « La tradition de l’Eglise ») au point que ces présentations l’ont gauchie et fait dévier de son orientation première.
Notre auteur s’engage de la première page à la dernière en écrivant à la première personne : « Je ».
Longtemps il a été professeur de théologie à l’université catholique de Paris et il a enseigné « La tradition de l’Eglise », c’est à dire la doctrine officielle de l’Eglise catholique, non sans se questionner ni vivre toute une maturation intellectuelle et spirituelle. Depuis trente ans qu’il est en retraite de son enseignement, sa réflexion s’est poursuivie et approfondie en rencontrant un certain nombre de groupes chrétiens passionnés par l’Evangile mais mal à l’aise dans le discours et le fonctionnement catholique.
Pour lui, le remède à la déviation opérée par la « tradition de l’Eglise » est de revenir à la source, « la prédication apostolique », c’est à dire l’écho du message de Jésus, proclamé par les apôtres et les premiers chrétiens et exposé dans les écrits du Nouveau Testament.
Ce n’est pas sans raison que notre auteur divise son ouvrage en trois parties intitulées :
1° Religion 2° Révélation 3° Salut, pour définir avec précision 1° en quoi le christianisme hérité de Jésus n’est pas en son coeur une religion ; 2° en quoi la révélation se manifeste essentiellement dans l’homme Jésus et sa manière de vivre ; 3° enfin en quoi le salut chrétien annoncé par Jésus concerne la vie et l’avenir des humains sur notre planète.
Joseph Moingt s’adresse à des chrétiens qui ne s’y retrouvent plus dans le christianisme officiel afin de les conforter dans l’attachement qu’ils ont à l’Evangile et de les encourager à tenir en petites communautés envers et malgré tout. Il aimerait également être lu par des non chrétiens afin de témoigner de ce qu’il estime être la Bonne Nouvelle de l’Evangile trop souvent voilée à leurs yeux par des contrefaçons.
Première partie : le christianisme, une religion ?
Le but de J. Moingt dans cette première partie qui est la plus courte (34 pages) est d’affirmer, à l’inverse de ce que beaucoup de gens croient, que le christianisme issu de Jésus de Nazareth n’est pas en son fond une religion, comme il l’est devenu dès les tout premiers siècles avec une structure hiérarchique, des dogmes à croire, une morale à pratiquer, un culte liturgique à rendre, des lieux sacrés à fréquenter.
Pour Châteaubriant dans son « Génie du christianisme », que notre auteur a lu, il était évident que le christianisme est une religion. Moingt prend le contre-pied de cette position. « Nous devons nous demander, écrit-il (37), si ce que nous concevons sous le nom de « religion » [chrétienne] représente exactement l’intention, l’invention, la mission de Jésus le Christ ».
La religion chrétienne est en crise actuellement.
La question se pose avec acuité alors que présentement la religion chrétienne instituée, du moins dans le monde occidental, est en crise. Elle a subi depuis 70 ans une grande hémorragie de ses fidèles et notamment des jeunes générations, elle a connu le départ de nombreux prêtres et religieux, elle constate le vide dans ses séminaires, elle est en butte à la réaction de beaucoup de chrétiens contre l’autoritarisme de ses responsables, elle constate que, parmi les chrétiens qui se sont éloignés d’elle, ils ne sont pas une minorité à dire qu’ils ont perdu la foi.
« Tous ces faits, dit J. Moingt, si disparates qu’ils soient, me paraissent composer le signe global du malaise, du mal-être d’une institution chrétienne sortie de l’histoire et du cours du temps, qui ne vit plus au même rythme que la société environnante, ni ne parle le même langage, ni ne pense comme elle, institution elle-même divisée […] en sorte que la société chrétienne se sent disloquée, à bout de souffle, en perte de dynamisme et de vitalité, menacée de disparaître de l’histoire ». (49)
Des responsables de l’Eglise ont imputé ces manifestations de distance vis à vis de l’Eglise à un manque de foi. En réalité , dit notre auteur, « il faut admettre que la perte de foi venait principalement du dedans de l’Eglise, d’un refus croissant du discours d’autorité le plus souvent employé par le clergé pour enseigner la foi, pour l’imposer au nom de l’obéissance due à Dieu et à l’Eglise au lieu d’encourager une démarche de foi et de confiance dans la bonté de Dieu […] Ce langage était vide de sens pour des esprits déjà formés dans un climat de rationalité critique et de libre examen ». (43)
Ce qu’on cite comme signes de réveils religieux n’effacent rien de la situation décrite, selon J. Moingt. Par ailleurs certains de ces réveils religieux (regain de liturgie traditionnelle, groupes charismatiques et évangélistes ) sont pour lui ambigus, voire dangereux (50-51). De plus ils ne permettent pas « d’écarter le diagnostic d’un déclin dans le présent et le risque d’’un effondrement à plus ou moins long terme ». (51)
Le déclin du christianisme occidental vient de loin
Joseph Moingt le discerne dès le 14ème siècle Dans les dernières années du Moyen Âge, des chrétiens et des chrétiennes contestent l’interposition incessante des prêtres entre eux et Dieu et se prennent en main sans le secours des clercs et des rites pour se ressourcer directement à l’Evangile. En témoigne par exemple le livre « L’imitation de Jésus-Christ » qui eut un énorme succès. Puis ce sera la Réforme qui au 16ème s. séparera de Rome les Eglises luthériennes et protestantes.
Mais c’est surtout à partir du 17ème siècle que la contestation s’installe partout, « quand la tradition sur laquelle s’appuyait la doctrine de l’Eglise catholique est attaquée par de nouvelles sciences ( Histoire, épigraphie[1], cosmologie ) et que les Etats revendiquent leur indépendance vis à vis de la religion » (58). Elle se poursuit au 18ème siècle, « avec les attaques des encyclopédistes contre la religion, auxquelles sera due en grande part l’instauration d’une société sécularisée, et avec la Révolution française, qui mettra un état laïcisé à la place de la Royauté sacralisée par l’onction de l’Eglise. » La contestation continue au 19ème siècle avec les interrogations radicales que posent au christianisme ceux qu’on appelle « les maîtres du soupçon » : Marx, Nietzche, Freud[2]…
Face à ces contestations et revendications « l’Eglise campe sur ses positions dogmatiques » . Et il en est de même jusqu’à aujourd’hui. « De la nouveauté des temps, l’Eglise (catholique) n’attendait pour elle que des dangers, dont le pire était à ses yeux l’idée que le pouvoir venait du peuple, et elle ne s’apercevait pas que l’esprit des temps nouveaux s’infiltrait dans le peuple chrétien qui renâclait de plus en plus à être conduit comme un troupeau de brebis […] et elle ressentait l’idée de lui abandonner un peu de pouvoir comme une trahison de l’autorité qu’elle tenait de son fondateur. Consciente de l’agitation des fidèles, elle ne voyait de secours que dans un renouveau de la tradition » (61). Ce qui le manifeste récemment : le mouvement de « la Nouvelle Evangélisation » confiée souvent à des « communautés nouvelles » dont le but est « de se montrer et de faire du bruit pour témoigner d’un christianisme fier et vivant » ; la remise en cause de mesures prônées par Vatican II et repoussées comme « modernistes » (61) ; le piétinement dans le rapprochement œcuménique et dans le lien avec les religions non-chrétiennes (62).
Et maintenant : Restauration ou renaissance ?
Pour J. Moingt le chemin de restauration est une impasse. « On ne voit pas comment le repli de l’Eglise (catholique) sur son autorité et sa tradition serait le seul et le meilleur moyen pour elle de reprendre sa marche en avant pour enseigner au monde la vérité capable de la sauver, celle qui lui a été révélée par Dieu même. Car où se trouve cette révélation ? C’est la plus grave question aujourd’hui posée à l’Eglise par ses propres fidèles, et c’est la question de sa propre vérité » (63). « De quelle révélation (le christianisme) va-t-il se prévaloir, en réponse aux doutes qui pèsent sur sa vérité pour garder un rôle influent dans l’histoire ? » (64)
Pour envisager une renaissance du christianisme, il faut revenir à « la prédication apostolique », échos de la foi des premiers chrétiens en Jésus et la comparer avec « la Tradition de l’Eglise », dont la doctrine officielle et la structuration résultent des élaborations théologiques et dogmatiques qui ont été faites par la suite au cours de l’histoire. Quel décalage observe-t-on entre les eux ? Qu’en conclure vis à vis de fidélité ou non de « la Tradition de l’Eglise » à « la prédication apostolique » ? C’est l’enjeu de la seconde partie du livre.
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[1] Science qui a pour objet l’étude et la connaissance des inscriptions
[2] Pour plus amples développements, voir « Repenser Dieu dans un monde sécularisé » de J.Musset, pages 53 à 90
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Aller à la deuxième partie : Quelle est la vérité du christianisme issu de Jésus ?