« Femmes de prêtres » de Michel Taubmann

Michel Taubmann, journaliste à Arte, lance le débat dans un ouvrage qui vient de paraître aux éditions Stock « Femmes de prêtres » (mars 2003). Chef du bureau parisien d’Arte Info, Michel Taubmann vient de faire paraître aux éditions Stock un ouvrage sur les « Femmes de prêtres ». Ce journaliste s’était déjà fait remarquer pour son travail historique sur le maquisard communiste Georges Guingouin (« L’Affaire Guingouin » (ed. L. Souny, 1994) dont le documentaire fut diffusé dans l’émission Les Brûlures de L’Histoire (France 3, 2001). Sans complaisance, ni rancœur, il publie aujourd’hui un ouvrage remarqué et fouillé sur le tabou de l’Église catholique : le non-respect du célibat des prêtres et leurs femmes.

Max Lagarrigue : De Guingouin aux femmes de prêtres, comment vous est venue l’idée de traiter ce sujet ?

Michel Taubmann : « Tout d’abord, j’ai toujours été intéressé à la fois par les questions de religion et de société. En tant que journaliste à Arte, j’ai été amené à m’intéresser au sujet lors d’un reportage sur « Plein jour », une association qui rassemble des femmes de prêtres. J’ai gardé le contact avec plusieurs de ces personnes et finalement, de fil en aiguille, ce reportage télé est devenu un projet de livre. »

Comment s’est déroulée votre enquête ?

« Tous les entretiens que j’ai eu avec des prêtres ou leurs femmes se sont déroulés dans le plus grand secret. Pour obtenir la confiance des témoins, j’ai été obligé de modifier les noms et les lieux des personnes impliquées. »

Comment avez-vous construit votre ouvrage ?

« J’ai inscrit mon travail dans le temps, en réalisant une partie historique pour expliquer le célibat des prêtres de ses origines à nos jours. Ensuite, le bilan de mes recherches m’a conduit à aller à contre-courant. En effet, l’idée communément admise sur le sujet est de dire que le célibat des prêtres est dû à une question matérielle, celle de ne pas voir les biens des prêtres dilapidés par leurs progénitures. Mon postulat est tout autre ; la raison de fond est, à mon avis, théologique. L’église a une conception qui relève du sacré pour ses prêtres. Depuis le IIIe siècle, le clergé a voulu que ses représentants ne soient pas identiques au commun des fidèles. »

Le sacré donc… ?

« Ma thèse c’est que l’obligation au célibat des prêtres qui n’est pas dans le judaïsme, est apparue avec le monachisme. L’idéal du moine qui fait vœu de chasteté et remplace le martyr, est devenu une référence. Il y a une confusion entre le choix du moine et celui du prêtre. L’église a finalement étendu le mode de vie spécifique des moines à l’ensemble du corps ecclésiastique. Cette règle obligatoire n’est d’ailleurs observée que dans l’église catholique romaine. En effet dans le judaïsme, tout comme dans l’Islam, le mariage et la sexualité sont des bénédictions. »

Comment les femmes de prêtres vivent-elles cette relation ?

« Il faut comprendre avant tout que leur vie se passe dans la plus grande clandestinité. Rien ne doit transpirer à l’extérieur. Le prêtre gare sa voiture à 300m du domicile de sa compagne, regarde à gauche, à droite, prend garde que personne dans le voisinage ne le reconnaisse. La plupart des prêtres sont des hommes sincères qui ont pris un vrai engagement, il est très douloureux pour eux de choisir entre l’amour d’une femme et celui de leur foi. Il se retrouve en pleine contradiction, mais ce sont les femmes qui souffrent le plus de jouer ce double jeu et les enfants qui découvrent souvent une fois adulte la vérité. A cela, il faut ajouter que ces femmes vivent cette relation comme quelque chose de honteux. Ce sont le plus souvent des croyantes pratiquantes qui culpabilisent beaucoup. »

Le phénomène est-il important ?

« En 2000, on dénombrait 19.000 prêtres. L’estimation certaine est qu’au moins 5% d’entre-eux, soit un millier, ont eu des relations avec une femme. Ce chiffre est une échelle basse puisqu’il est déterminé seulement à partir des témoignages des femmes de prêtres qui se sont signalées, mais il y a toutes celles qui ne sont pas manifestées… »

Pensez-vous que l’église peut changer son attitude sur ce sujet ?

« Rien ne changera avec ce pape qui a réaffirmé l’intangibilité du célibat des prêtres. Un autre, peut-être, ouvrira le débat. Pour l’église catholique d’Occident, le choix semble toutefois fait. De plus en plus marginalisées, les églises disparaissent, petit à petit, du paysage français. Elles connaissent le même sort que nombre de syndicats ou de partis politiques mais personne ne se bat aujourd’hui pour s’opposer à la fermeture d’une église. L’église affronte une crise profonde. La fin du célibat et l’ordination des femmes – rappelons qu’elles sont la majorité des fidèles – seraient deux mesures qui donneraient un autre visage à l’église catholique et rompraient la crise des vocations. »

Pensez-vous que cela changerait quelque chose ?

« Oui, d’abord cela repeuplerait de nombreuses paroisses qui sont sans prêtres. L’image ringarde de l’église catholique serait également rompue. Ce changement ne semble toutefois pas à l’ordre du jour. J’ai eu l’opportunité de rencontrer des responsables de l’église et leurs réactions me font penser à celles du PCF. L’église tend à raffermir ses règles, à se replier sur elle-même. Nombre de prélats pensent qu’il vaut mieux conserver l’identité de l’église qui satisfait les 5% de Français qui fréquentent encore les églises, que de tenter de séduire les 95% autres qui ne s’y rendent pas ou plus. Finalement, la volonté de conserver le célibat des prêtres apparaît comme la position d’un noyau dur de l’église catholique qui souhaite observer en cette matière le statu quo. »

Source : Max Lagarrigue – Arkheia (2004)