« L’esprit du Christianisme » de Joseph MOINGT (3)

Troisième partie :  Quel est le sens du salut chrétien ?

Le langage actuel de l’Eglise n’est pas crédible.

En introduction de cette dernière partie, J. Moingt constate que le langage traditionnel  de l’Eglise catholique sur le salut chrétien n’est plus crédible par nombre de nos contemporains.

« Les sociétés occidentales [ont] en grande majorité rejeté ce discours du salut auquel la rationalité et les sciences de la modernité enlèvent toute crédibilité et nombre de fidèles restés dans l’Eglise menacent de la quitter parce que ce discours leur paraît également inaudible et les empêche de témoigner de leur foi dans la société où ils vivent.  Ce langage élaboré il y a plus de quinze siècles, dans un contexte en tous points différents du nôtre sur le plan scientifique et culturel, ne parle plus aux hommes et femmes de notre temps. Il leur apparaît déconnecté des problèmes majeurs qui se posent actuellement et dont la résolution conditionne l’avenir de l’humanité : la sauvegarde de la planète épuisée par les gâchis humains, la domination de la finance internationale, l’individualisme grandissant, le surarmement, les inégalités entre les peuples et  les individus. Telle est  peut-être la raison majeure de faire entendre à nouveau l’appel à « sauver le monde » qui résonnait dans tous les discours et actes de Jésus » (189).

Comment parler du salut chrétien d’une manière crédible aujourd’hui ?

Il s’agit de revenir  à la manière très concrète dont Jésus, à ses risques et périls, a annoncé et manifesté en son temps ce salut de Dieu en redonnant espérance, dignité, vitalité à ses compatriotes marginalisés et en invitant à construire un monde de justice  et de fraternité, fruits d’ouverture et de probité intérieure. C’est en effet ce Jésus fidèle jusqu’à la croix à sa mission libératrice que les apôtres et premiers chrétiens ont proclamé  source de vie pour tous ceux qui  mettraient leurs pas dans les siens, avec l’assurance d’être stimulés intérieurement par l’Esprit qui l’inspirait.

L’oeuvre de salut est à inventer  à sa suite d’une façon inédite, ici et maintenant dans l’épaisseur des réalités humaines, individuelles et collectives. Elle concerne le monde et l’humanité entière  dans son histoire présente  s’exprimant par sa  vie culturelle, sociale, politique , économique. Elle s’incarne dans toutes ces réalités pour qu’elles soient au service de l’humanisation des hommes et des femmes. Elle agit bien au-delà des clôtures du christianisme : Dieu est « à la tâche »  depuis toujours et partout où vivent des humains. Elle ne se réduit pas à l’après-mort,  aux croyances et pratiques religieuses. Elle est très éloignés des préoccupations d’une orthodoxie dogmatique et de la sauvegarde d’un pouvoir clérical.Ce qui compte c’est d’être au rendez-vous des appels à construire un monde  humain et fraternel, en lien avec tous ceux, chrétiens ou non, qui s’en préoccupent.

Les chrétiens ne peuvent donc qu’avoir le souci de travailler  avec leurs contemporains qui ne partagent pas la foi chrétienne mais sont animés par le souci de justice et de fraternité,  à l’exemple de Paul, qui se faisait tout à tous ; ils sont appelés à  recevoir d’eux toute pensée et pratique orientées vers l’humanisation de la société ;  de leurs côtés, ils apportent leur contribution  en créant et stimulant des liens d’amour et d’amitié entre les hommes. Et ils l’exprimeront dans un langage qui ait écho chez leur interlocuteurs s’interrogeant sur le sens de leur vie et sur les grandes causes humanitaires de leur temps. J. Moingt n’invente rien, il se réclame du témoignage de Jésus et des échos qu’on en trouve singulièrement chez Paul et Jean.

Quelles exigences pour annoncer ce salut chrétien à nos contemporains ?

Les rejoindre

Puisque le monde d’aujourd’hui  ne va plus à l’église, il est nécessaire  d’aller à lui  ? « Cette situation, dit J. Moingt,  s’est vécue à l’origine du christianisme naissant quand les premiers chrétiens n’avaient ni église, ni prêtres, ni culte,  quand ils se réunissaient dans leurs maisons pour partager le repas du Seigneur » auquel juifs et païens pouvaient assister. Et cela se fait encore de nos jours quoique de façon non officielle : des chrétiens se réunissent en dehors des églises et sans prêtre avec parfois des gens non-pratiquants ou non baptisés. » (264)  Ces initiatives  appellent sagesse et courage, innovation et fidélité.

La responsabilité des laïcs émancipés des clercs

Face à un christianisme institutionnel qui s’est enkysté dans une organisation cléricale en instaurant une distinction entre clercs masculins, détenant la vérité et le pouvoir, et laïcs mis en dépendance des clercs, J. Moingt voit l’Evangile « annoncé en notre temps par des laïcs émancipés de l’ordre sacré » (265), dans des rencontres où l’on s’entretient avec le tout venant des problèmes de la vie courante des uns et des autres et de leur environnement à la lumière de l’Evangile et où ceux qui le désirent participent à un repas fraternel. Sans se couper de l’évêque, ces laïcs prennent leurs responsabilités ; ils ne lui  demandent pas de permission mais l’informent de leurs pratiques s’il veut bien les écouter. (266)

Dans ces communautés de laïcs, on ne fera pas de cas de traditions chrétiennes différentes ( catholicisme, protestantisme, anglicanisme, orthodoxie). Ce problème est dépassé. On encouragera  plutôt la liberté de suivre le Christ d’une manière autonome. (266)

Formuler des propositions de réforme

Dans l’état actuel de l’Eglise, s’il n’est pas envisageable de réformer de haut en bas ni de prendre le pouvoir, on peut seulement réclamer des réformes qui répondraient à des besoins incontestables et urgents, mais avec discernement. Par exemple, face au manque de prêtres, ordonner des hommes et des femmes mariés ne contribuerait-il pas à maintenir le cléricalisme en place ?  Par contre ce serait un grand pas en avant que les évêques fassent confiance aux initiative des laïcs, qu’ils encouragent les élections à tout niveau de laïcs à des responsabilités diocésaines, qu’ils consultent les fidèles  pour les prises décisions. Ils gagneraient en crédit. (267)

Se défier du fondamentalisme évangélique

Un point sur lequel il convient d’être attentif, c’est le déferlement d’Eglises évangéliques qui dépeuplent les Eglises établies mais surtout  défigurent le vrai visage de l’Evangile par une lecture fondamentaliste de la Bible et du Nouveau Testament et par une collusion avec les pouvoirs politiques ou économiques qui exploitent les populations. C’est une invitation aux chrétiens à se ressaisir en s’engageant pour une  société  juste et fraternelle et ayant une attention particulière aux gens les plus délaissés et marginalisés, y compris les réfugiés. (268)

Travailler à rendre la terre habitable

  1. Moingt recommande enfin – il l’a déjà dit – de travailler à rendre la terre plus habitable avec tous ceux qui s’y emploient ( chrétiens ou non), en qui Dieu est au travail secrètement. Ce qui fait souffrir, Dieu, dit-il, c’est non pas de n’être plus honoré comme autrefois mais de voir la situation inhumaine dans laquelle vivent nombre de personnes. L’Évangile à annoncer, c’est par des actes effectifs qu’on le fait, en direction de celles et de ceux qui  sont  dans le manque vital. Cela appelle une conversion des esprits et des cœurs. C’est une mission d’humanisme qui n’a rien à voir avec le post-humanisme  et l’anti-humanisme qui imaginent pour les plus puissants et les plus riches un allongement sans pareil de la vie grâce à la greffe de prothèses, de puces gonflées d’intelligence numérique. 269

Envoi final

De toutes ses réflexions énoncées au fur et à mesure dans son livre, J. Moingt noue la gerbe  avec ces dernières lignes sans équivoque :

« Sans doute sommes-nous arrivés au temps où Dieu se révèle «  en esprit et en vérité – dépouillé des fantasmes dont nous le revêtons, des pratiques et des formulations imposées par la religion – directement à notre esprit dans sa propre et seule vérité, à condition que nous ne nous enfermions pas dans nos seuls raisonnements, mais que nous le cherchions en entrant en communication avec d’autres personnes, car c’est avec l’esprit humain comme tel, dans sa généralité, que Dieu communique par son propre Esprit et qu’il se révèle à chaque personne en lui infusant cette première vérité que tout autre est l’autre de soi et qu’il n’y a de vérité connaissable que partagée  ».

Ainsi, « la vérité du christianisme n’est pas enfermée en lui-même, dans sa religion,  mais circule à travers le monde, grâce à la communication que les chrétiens entretiennent avec tous les autres hommes : vérité qui n’est pas celle de la foi chrétienne visée dans sa  particularité, mais celle de l’homme créé à l’image de Dieu pour constituer sa famille. »

« Voilà ce qui m’a paru être l’enjeu de la révélation de Dieu dans la mise à mort d’un blasphémateur et de l’annonce du salut en lui et par lui, et la raison de l’envoi de ce livre à toute personne préoccupée du déficit d’humanité qui menace. » (275-277)

L’ouvrage de J. Moingt est un très grand livre de par la lucidité de ses analyses, le courage de son auteur pour les formuler dans l’Eglise actuelle, la justesse de ses propositions pour donner corps à l’humanisme évangélique en notre monde.  Il mérite d’être étudié de près, car il donne des clefs pour comprendre les blocages du catholicisme actuel et encourage  les initiatives pour contribuer à la fécondité de « l’esprit du christianisme » dans la société d’aujourd’hui.

Jacques Musset

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